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pointe du pied gauche et le pied droit, rapporter ensuite le talon droit à côté du gauche et sur la même ligne. » Et le bureaucrate se frottait toujours les mains.

Les souffrances du gendarme, bien plus vives que celles de ses voisins à peu près réduits à la vie végétative, finirent par émouvoir quelques amnistiés, malgré leur antipathie naturelle pour tout ce qui portait un uniforme pénitentiaire : gendarme ou non, n’en était-ce pas moins un homme ? Quelques-uns venaient causer avec lui devant ses barreaux : après avoir été gardés à l’aller par les hirondelles de potence, il pouvait leur sembler piquant de se promener librement devant la cage de l’une d’elles. Sous les latitudes assoiffantes, on lui passa de la boisson, eau demi-tiède, très vaguement coupée de citron et de tafia. Enfin, deux fois, la porte du réduit se trouva ouverte et le prisonnier, traversant en toute sécurité notre compartiment, put monter prendre l’air sur le pont.

Quel effarement ce fut, surtout la seconde fois ! Le gendarme était alors arrivé à un état psychologique des plus troublés : le sentiment de ses âpres griefs pouvait lui faire commettre quelque acte redoutable, car il possédait une arme, un fort couteau qu’il étreignait de la main droite. Aussi, officiers, quartiers-maîtres, marins, soldats, passagers se reculaient-ils prudemment sur son passage. Il monta ainsi sur la dunette de l’avant et aspira largement la forte brise imprégnée des émanations salines de l’Océan.

Cependant, ses bourreaux s’étaient remis de leur première alerte : l’enseigne de service avait appelé le capitaine d’armes, qui avait donné des ordres au maître d’armes, lequel au caporal d’armes et, finalement, celui-