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on les laissait au large, livrés à eux-mêmes. Ils vinrent au bureau et nous fraternisâmes. Malgré leur attitude regrettable dans l’insurrection canaque, que seuls, d’ailleurs, ils avaient combattue sans cruauté, ils n’en étaient pas moins des communards : avec eux, je me retrouvais en terre républicaine. Deux déportés établis dans la localité se joignirent à moi pour leur donner un véritable banquet auquel prirent part, — signe des temps, — les deux sous-officiers du poste. L’ordinaire du bagne avait débilité les estomacs de nos hôtes et Amouroux, ayant commencé, au dessert, à déclamer les Iambes de Barbier, ne put jamais aller plus loin que le dixième vers. Je sortis de ces agapes avec les honneurs de la guerre, digne sans excès de raideur et remorquant un sergent sous chaque bras.

Plus tard, je revis Amouroux à Paris : il avait déjà un pied dans les grandeurs et, faiblesse bien humaine, se montrait gêné en ma présence, craignant peut-être que lui rappelant les mauvais jours, je ne lui demandasse à mon tour ses bons offices. Je n’aurais eu garde de le tourmenter sur ce point ! Amouroux, travailleur tenace, avait beaucoup plus de qualités d’esprit que de cœur : parti de la chapellerie, en passant par le bagne, il eût pu devenir ministre.

Deux déportés résidant à Thio méritent une mention spéciale.

Sillaux, surnommé Double-mètre, parce qu’il atteignait juste cette hauteur, eût dit monsieur Sarcey, était un géant inoffensif comme nombre d’hommes vraiment forts. Avec lui et Panié, j’allai en excursion dans les montagnes de l’Aoui, pourchasser non les restes errants des tribus révoltées, mais simplement les cochons sau-