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vière. Celle-ci, tout aussi traîtresse que la Boima, se replie dix-neuf fois sur elle-même, de sa source à la mer, ce qui, vu l’absence de ponts, procure bien des agréments aux voyageurs.

On dirait qu’un mauvais génie, sans doute l’énorme Coindé, le Neptune local, a jeté un sort sur ces eaux. Que de victimes elles ont englouti !

Une de celles-ci fut madame Panié, épouse surannée mais peu sévère d’un ex-caporal de pompiers auquel son passage dans ce corps d’élite avait brûlé le gosier. Tous deux buvaient, lui pour éteindre cet incendie, tentative aussi vaine que réitérée, elle pour tenir compagnie à son mari. Lorsque des visiteurs aux désirs lubriques, car Panié n’était pas jaloux, entraient dans la case hospitalière, les libations ne connaissaient plus de limites : ne fallait-il pas dignement arroser l’autel de Cypris ?

Qui eût pu prévoir que si fière personne périrait par l’eau ? C’est pourtant ce qui arriva. Au retour d’un déjeuner à la campagne, le mari, la femme et l’ami arrivèrent à cheval sur les bords de la rivière, encore gonflée par des averses récentes, et, avec l’insouciance de l’ivresse, ils forcèrent leurs montures à effectuer le passage. Le cheval de madame Panié ne tarda pas à perdre pied et, emporté par le courant, à disparaître avec la malheureuse. — Ma pauvre femme ! s’écriait en pleurant, au bout d’une semaine, l’inconsolable Panié, je suis bien à plaindre : c’est la troisième jument que je perds cette année !

À Thio, je fis la connaissance d’Amouroux. Lui et ses camarades avaient gagné à leurs bons services une assez grande liberté et, sous prétexte d’un tracé de route,