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plus rien à espérer ni à craindre. Mabille, condamné à la déportation dans une enceinte fortifiée, se fit, à la presqu’île Ducos, l’éducateur de ceux, toujours nombreux, qui s’étaient trouvés acteurs dans l’insurrection, sans trop savoir pourquoi. Il leur apprit qu’il y avait une question sociale. Puis, de retour en France, au bout de six années, âgé de quelque soixante-douze ans et ne trouvant plus de travail, il se suicida. Telle fut la fin de ce travailleur modeste, honnête et courageux.

Marchand était un beau garçon, d’environ vingt-cinq ans, instruit et enjoué qui, malgré son jeune âge, avait rempli fort crânement les fonctions de capitaine : physionomie bien parisienne. Il n’a pas traîné longtemps : il avait laissé son cœur en France et il en est mort. Du reste, la mortalité, parmi les déportés, était grande surtout chez les jeunes, victimes de la nostalgie ou des chagrins d’amour.

Mort aussi Ponsard, un ex-marin qui avait quitté la flotte pour servir la Commune et qu’un emprisonnement prolongé dans les in-pace versaillais avait rendu poitrinaire. Mort aussi Bisson, un grand mécanicien, jovial, haut en couleurs, beaucoup plus républicain que socialiste, comme l’étaient, du reste, la plupart de ses camarades. Mort aussi, Redon, l’ex-commandant du fort d’Issy. Mort Ardouin, bureaucrate soigné et malheureux époux. Mort Olive, inoffensif franc-maçon, qui répétait tragiquement en reprisant ses fonds de culottes — il était tailleur — : « On m’a envoyé à Nouméia comme membre d’une société secrète ! » Et qui sait encore combien d’autres !

Une heure par jour, les déportés, affublés de blouses de toile et de képis sans galons ni numéro, dévalaient