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et de fauberts, la prise des hamacs dans les bastingages, après le coup de sifflet qui suit la prière du soir, l’installation de ces lits suspendus, où l’on dort si bien, bercé par le roulis, et qu’on enlève le lendemain matin pour les reporter à leur place première. Ces exercices réitérés ne laissent pas de donner un excellent appétit : il ne manque que la possibilité de le satisfaire.

L’ordinaire est des plus lacédémoniens : le matin, quelques débris de biscuits de mer, un boujaron (6 centilitres) de tafia et un liquide tiède et noirâtre, audacieusement qualifié de café, où nage parfois la chique du maître coq. À midi, vingt-trois centilitres d’un vin qui serait bon si les magasiniers ne le baptisaient plus que de raison, du pain de munition, une eau chaude censée être du bouillon et, trois fois par semaine, un microscopique morceau de carne desséchée. Nous apprîmes, non sans quelque surprise, que cette carne était la viande des bœufs que nous avions vu embarquer, mais notre étonnement cessa quand nous pûmes constater de visu que, par humanité sans doute, ces bœufs n’étaient généralement abattus qu’une fois crevés sous les influences combinées du froid, de la faim et du roulis. Un de ces ruminants, surnommé Mouton, et qui méritait bien cette appellation par sa douceur, fut, le plus longtemps possible, soustrait au couteau impitoyable du sacrificateur : il restait le dernier de son espèce et se promenait librement sur le pont ; mais à la fin, celle que nous éprouvions, décida de son sort. Pauvre Mouton !

Le soir, une nouvelle mesure de vin, du biscuit et une potée de légumes on ne peut plus secs, contemporains de Bougainville et de La Pérouse, qui eussent avantageusement chargé des mousquets, composent