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jeu, et le surveillant du télégraphe Dubois, fraîchement émoulu de l’infanterie de marine.

Une vie très heureuse, après tant d’orages, commença pour nous. Mes parents avaient loué aux Henry, pour vingt francs par mois, une case perchée sur un monticule, à cent mètres de leur maison, qu’elle dominait. Elle ressemblait assez à notre habitation de l’île des Pins, pareillement blanchie à la chaux de corail et entourée d’une vérandah, avec deux pièces à l’intérieur. Un clair ruisselet, dérivé artificiellement des montagnes, murmurait devant notre porte et descendait se perdre vers la mer, après avoir alimenté la cuisine et la buanderie de nos voisins anglais. Des touffes de citronnelle sauvage, dont nous tirions une boisson remplaçant le thé, croissaient çà et là sur les plateaux voisins, auxquels se reliait le nôtre. En regardant de la plage vers l’intérieur le coup d’œil était, à la fois, pittoresque et imposant : au dessus du store, la maison Henry, ombragée de flamboyants, arbres aux fleurs pourpres ; plus haut la nôtre, tache blanche perdue sur un fond vert et bleu, plus loin, des montagnes en amphithéâtre, traversées horizontalement de la base au sommet, par des rangées de gradins, semblables à ceux d’un cirque immense. Ces gradins marquaient la place des anciennes tarodières, étagées régulièrement et arrosées par une ingénieuse série de canaux. La culture du taro demande beaucoup d’eau et les Canaques passés maîtres dans les travaux d’irrigation, en prennent aux torrents voisins. C’est à ces vestiges de plantations qu’on peut reconnaître la puissance des tribus aujourd’hui disparues ou en voie d’extinction.

Dubois ne tarda pas à prendre femme, occasion qui,