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rement la main sur son fils qu’ils baptisaient sous le nom de Napoléon — ces perspicaces hommes de Dieu prévoyaient-ils le coup d’État ? Naturellement, toute la tribu suivit cet exemple édifiant, et l’eau sainte du baptême ruissela sur les fronts cuivrés. L’influence des pères Rougeyron et Villars sur leurs ouailles était maintenant absolue, sans bornes. Napoléon, très respecté, n’agissait, cependant, que sous leur inspiration. Il avait jadis déclaré la guerre, non sans succès, au puissant grand-chef de Hienghène, Philippe Boirate, prêtrophobe endurci. Une pierre marquait maintenant à Garana, au sud du poste d’Oubatche, les limites des deux potentats.

Napoléon, à qui j’ai bien des fois offert la goutte, en dépit de mes sentiments antimonarchiques, était un robuste gaillard presque noir, au type fidgien bien plus que négrito, à la barbe neigeuse et au sourire mi-paterne mi-railleur. Avant sa conversion au christianisme, il possédait la réputation d’un terrible anthropophage et cette renonciation à la chair avait dû lui coûter.

Deux autres chefs, Douima et Mouaou, n’avaient pas l’air très tendre, bien que dissimulant leurs arrière-pensées avec une félinité sauvage. Le premier régnait sur le village de Tchambouène, entre Oubatche et Pouébo ; il est difficile de s’imaginer un lieu plus ravissant : fruits, fleurs, chant des oiseaux, murmure des cascades, fraîcheur des rivières, tout s’y réunissait pour donner l’illusion d’un véritable coin de paradis terrestre. Et les femmes y étaient belles ; bien plus : elles y semblaient propres ! Vassal, tout au moins nominalement, de Napoléon, enfermé entre la mission et le poste, Douima, dont les instincts étaient féroces, se livrait par nécessité à une politique de bascule, digne d’un ministre euro-