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chez le dernier marchand encore ouvert, et, peu après, commençai mon travail d’affichage. Le faubourg Saint-Antoine, Charonne, Belleville, quartiers les plus révolutionnaires, reçurent les premiers manifestes ; puis, traversant le canal Saint-Martin, je m’orientai vers la hideuse masure de Saint-Lazare, où était détenue ma mère ; mais, avant d’y arriver, mon odyssée prit fin. Deux gardiens de la paix m’aperçurent en train d’afficher, me signalèrent et, rue d’Alsace, je me trouvai pris, comme dans un traquenard entre des agents, débouchant sur mes derrières et ma droite, le parapet du chemin de fer de l’Est et le poste de police. Je fus arrêté, mais ne perdis point mon sang-froid et jouai la folie, déclarant au brigadier ahuri que j’étais l’auguste rejeton de Napoléon III, fraîchement débarqué d’Angleterre avec le docteur Coneau pour faire le bonheur du peuple français. Cette prétention n’empêcha pas qu’après quelques étapes, dont je fais grâce au lecteur, l’on me dirigeât sur le Dépôt où je séjournai une dizaine de jours au commun puis, ayant eu la prudence de recouvrer progressivement la raison, je fus rendu au pavé de Paris. Ceux qui avaient disposé si arbitrairement de la liberté et de la fortune de mes parents, hésitèrent sans doute à poursuivre rigoureusement un adolescent : j’avais accompli ma dix-septième année pendant cette première captivité, qui ne devait pas être la seule.

La peine, prononcée par contumace contre mon père, avait été, par jugement contradictoire, commuée en celle de la déportation simple. C’était presque la liberté… à l’autre bout du monde : ma mère et moi, enfin réunis, disions sans regret adieu à la terre natale où nous laissions : elle sa bourgeoise famille, moi mes rêves d’avenir.