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pourra sembler singulier de la part d’un futur anarchiste, mais c’était le seul moyen d’éviter un meurtre, et j’estime que même dans une société débarrassée d’argousins, surtout dans celle-là, la défense, tant individuelle que sociale n’a pas à abdiquer ses droits.

En remontant le cours de la Boima, à un kilomètre environ de ma demeure, se trouvait celle de Girard, digne suisse aux allures patriarcales mais expert comme pas un dans l’art de marquer à la fourchette. Là était le centre des affaires, des transactions, des ribotes et des batailles ; aussi la police y faisait-elle de fréquentes visites, plus encore dans le but de s’y désaltérer que dans celui d’y maintenir l’ordre. Que d’intérêts se sont débattus dans cette case aux murs de terre, longue et sombre, devant ce comptoir, où le mercanti, poli, affable, souriant, versait à ses clients le poison vert, jaune, rouge, jusqu’à ce qu’ils roulassent ivres-morts ou qu’ils n’eussent plus d’argent ! Alors seulement son sourire s’effaçait, remplacé même, lorsque ses intérêts étaient en péril, par un rictus féroce, celui du tigre qui va bondir sur sa proie.

Là se rencontraient bien des types curieux. Thévenin, mineur débraillé et lucide seulement pour trouver des filons ; il achevait de boire, dans les soûleries les plus bêtes, soixante-quinze mille francs que lui avait valu la découverte du Bel-Air, revendu plus tard deux millions par l’acquéreur ; Santaromain qui, avec une patience de Peau-rouge, suivait les prospecteurs à la piste et, lorsqu’ils avaient rencontré un gisement, s’empressait d’y planter ses piquets et de faire à son nom la déclaration lui conférant droit de propriété ; canaille mais pratique ! F***, beau et bon garçon, un peu noceur, qui, ayant