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un malheur pour tous, car certainement, parmi vous, celui qui ne travaille pas mange cependant à la table commune et celui qui tombe malade est en outre cause de dépenses plus grandes. C’est ainsi que, dans votre famille, au lieu de chercher à vous enlever le travail et le pain l’un à l’autre, vous cherchez à vous entr’aider, parce que le bien de l’un est le bien de tous, comme le mal de l’un est aussi le mal de tous. Ainsi s’éloignent la haine et l’envie, ainsi se développe cette affection réciproque qui n’existe jamais au contraire dans une famille dont les intérêts sont divisés.

C’est là ce qu’on appelle solidarité ; il faut donc établir entre les hommes les mêmes rapports que ceux qui existent entre les membres d’une famille bien unie.

Jacques. — J’ai compris. Mais revenons à la question de tout à l’heure. Dis-moi, es-tu collectiviste ou communiste ?

Pierre. — Quant à moi, je suis communiste parce qu’il me semble que si l’on doit être amis, on ne doit pas l’être à moitié. Le collectivisme laisse encore subsister des germes de rivalité et de haine. Mais je vais plus loin. Alors même que chacun pourrait vivre avec ce qu’il a produit lui-même, le collectivisme serait toujours inférieur au communisme, parce qu’il tiendrait les hommes isolés et diminuerait ainsi leurs forces et leur sympathie. D’ailleurs, comme le cordonnier ne peut manger ses chaussures ni le forgeron se nourrir de fer ; comme l’agriculteur ne peut lui non plus cultiver la terre sans les ouvriers qui préparent le fer, fabriquent les instruments, et ainsi de suite, il serait donc nécessaire d’organiser un échange entre les divers producteurs, en tenant compte à chacun de ce qu’il a fait. Alors, il arriverait nécessairement que le cordonnier, par exemple, chercherait à donner une grande valeur à ses souliers et voudrait avoir en échange le plus d’argent possible ; de son côté, le paysan voudrait lui en donner le moins possible. Comment diable s’arranger avec cela ? Le collectivisme, en somme, me paraît donner lieu à une quantité de problèmes très difficiles à résoudre et, avec ce système, les choses s’embrouilleraient facilement.

Le communisme, au contraire, ne donne lieu à aucune difficulté : tous travaillent et tous jouissent du travail de tous. Il s’agit seulement de voir quelles sont les choses dont on a besoin, afin que tous soient satisfaits, et de faire en sorte que toutes ces choses soient produites en abondance.

Jacques. — Ainsi, avec le communisme, il n’y aurait plus besoin d’argent ?

Pierre. — Ni d’argent, ni d’autre chose qui en tienne lieu. Rien qu’un registre des objets nécessaires et des produits pour chercher à tenir toujours la production à la hauteur des besoins.

La seule difficulté sérieuse serait que beaucoup d’hommes ne voulussent pas travailler, mais je vous ai déjà dit les rasions pour lesquelles le travail, qui est aujourd’hui une peine si lourde, deviendra un plaisir et en même temps une obligation morale à laquelle bien peu d’individus