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voudrais te demander encore quelques explications avant de nous quitter. J’entends souvent parler de communistes, de socialistes, d’internationalistes, de collectivistes, d’anarchistes : que signifient tous ces noms ?

Pierre. — Ah ! justement, vous faites bien de me demander cela, parce qu’il n’y a rien de tel que de s’entendre sur la valeur des mots.

Donc, vous devez savoir que les socialistes sont ceux qui croient que la misère est la cause première de tous les maux sociaux et que, tant qu’on ne détruira pas la misère, on ne pourra extirper ni l’ignorance, ni l’esclavage, ni l’inégalité politique, ni la prostitution, ni aucun des maux qui maintiennent le peuple dans une horrible situation, et qui pourtant ne sont rien en regard des souffrances venant directement de la misère elle-même. Les socialistes croient que la misère dépend du fait que la terre et toutes les matières premières, les machines et tous les instruments de travail appartiennent à un petit nombre d’individus qui disposent ainsi de la vie de toute la classe ouvrière et se trouvent en lutte continuelle et en concurrence, non seulement avec les prolétaires, c’est-à-dire ceux qui n’ont rien, mais encore entre eux, pour la possession de la propriété. Les socialistes croient qu’en abolissant la propriété individuelle, c’est-à-dire la cause, on abolira du même coup la misère qui en est l’effet. Et cette propriété peut et doit être abolie, parce que l’organisation et la distribution de la richesse doivent se faire suivant l’intérêt actuel des hommes, sans égard pour les droits, soi-disant acquis, que les bourgeois s’arrogent maintenant parce que leurs aïeux furent plus forts, ou plus heureux, ou plus canailles que les autres.

Donc, vous le voyez, le nom de socialistes désigne ceux qui veulent que la richesse sociale serve à tous les hommes et qu’il n’y ait plus ni propriétaires ni prolétaires, ni riches ni pauvres, ni patrons et employés.

Il y a quelques années, on le comprenait ainsi et il suffisait de se dire socialistes pour être haï et poursuivi par les bourgeois qui auraient préféré cent fois voir un million d’assassins qu’un seul socialiste. Mais quand les bourgeois virent que, malgré toutes leurs persécutions et leurs calomnies, le socialisme faisait son chemin, que le peuple commençait à ouvrir les yeux, alors ils pensèrent qu’il fallait chercher à embrouiller la question pour pouvoir mieux tromper les gens, et beaucoup d’entre eux commencèrent à dire qu’eux aussi étaient socialistes, parce qu’ils voulaient le bien du peuple et pensaient à détruire ou à diminuer la misère. Autrefois donc, ils disaient que la question sociale, c’est-à-dire la question de la misère, n’existait pas ; aujourd’hui, au contraire, que le socialisme leur fait peur, ils affirment que tout homme qui étudie la question dite sociale est lui aussi un socialiste, comme si on pouvait appeler médecin celui qui étudie une maladie dans l’intention, non de la guérir, mais bien de la faire durer.

C’est ainsi qu’aujourd’hui vous trouvez des personnes qui se disent socialistes, parmi les républicains, parmi les royalistes, parmi les cléricaux, parmi les magistrats, partout enfin, mais leur socialisme consiste à se faire