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Jacques. — Oui, tu as raison. Mais les méchants, les voleurs, les bandits, qu’est-ce qu’on en fera ?

Pierre. — D’abord, quand il n’y aura plus de misère et d’ignorance, tous ces gens-là n’existeront pas. Mais en admettant qu’il en reste encore quelques-uns, est-ce que ce serait une raison pour avoir un gouvernement et une police ? Est-ce que nous ne pourrons pas nous-mêmes les mettre à la raison ? Seulement, bien entendu, nous ne les maltraiterons pas comme on fait aujourd’hui aux innocents aussi bien qu’aux coupables, mais nous les mettrons en situation de ne pas nuire et nous ferons tout pour les remettre dans le droit chemin.

Jacques. — Donc, quand nous aurons le socialisme, tous seront heureux et contents, et il n’y aura plus ni misères, ni haines, ni jalousie, ni prostitution, ni guerres, ni injustices ?

Pierre. — J’ignore jusqu’à quel degré de félicité l’humanité pourra arriver, mais je suis convaincu que tout sera aussi bien que possible. D’ailleurs, on cherchera à améliorer les choses de plus en plus, et les progrès ne seront pas comme aujourd’hui au profit de quelques-uns, mais au profit de tous.

Jacques. — Mais quand cela arrivera-t-il ?

Je suis vieux, et maintenant que je sais que le monde n’ira pas toujours ainsi, il me déplairait de mourir sans avoir vu au moins un jour de justice.

Pierre. — Quand cela arrivera-t-il ?

Je n’en sais rien. Cela dépend de nous. Plus nous travaillerons pour ouvrir les yeux aux gens, plus tôt cela se fera.

Cependant il faut dire ceci. Avant ce siècle-ci, ceux qui sont aujourd’hui des messieurs, des bourgeois, comme nous les appelons, étaient assujettis de mille manières aux nobles et aux prêtres. En 1789 éclata en France la grande révolution qui, après bien des vicissitudes, finit par délivrer les bourgeois et leur donner, avec la liberté, le pouvoir. Dans quelques années, en 1889, s’achèvera le siècle où s’est faite la révolution bourgeoise et il y a bien des gens qui disent que cette année verra s’accomplir la révolution des pauvres, révolution qui ne se fera pas au profit d’une seule classe, comme celle du siècle passé, mais pour le genre humain tout entier[1].

Quand beaucoup de gens croient une chose de ce genre, elle finit par se réaliser ; donc l’année 1889 pourrait bien être celle de notre délivrance. Cependant, faites bien attention qu’il n’y ait rien de fatal avant cette date ; la révolution pourra se faire avant ou après.

Je vous le répète, cela dépend de nous. Si nous travaillons à faire la révolution, elle aura lieu en 1889 et même avant ; si, au contraire, nous nous endormons, si nous attendons que les alouettes nous tombent toutes rôties du ciel, il pourra se passer des siècles avant qu’elle ait lieu.

Jacques. — Je te comprends ; mais puisque nous sommes ensemble, je

  1. La première publication de cette brochure date de 1885.