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Pierre. — Nous revenons toujours au même point. Le gouvernement est composé des messieurs, et il n’y a pas à supposer que ces gens-là veuillent faire des lois contre eux-mêmes. Et quand bien même les pauvres pourraient arriver à commander à leur tour, serait-ce une raison de laisser aux riches les moyen de nous remettre le pied dessus ? Croyez-moi, là où il y a des riches et des pauvres, ceux-ci peuvent élever la voix un moment, en temps d’émeute, mais les riches finissent toujours par commander. C’est pour cela que si nous réussissons à être un moment les plus forts, il nous faudra enlever immédiatement la propriété aux riches pour qu’ils n’aient plus en mains le moyen de remettre les choses en l’état d’auparavant.

Jacques. — Je comprends, il faut faire une bonne république, rendre tous les hommes égaux, et alors, celui qui travaillera mangera, celui qui ne fera rien se frottera le ventre. Ah ! je regrette d’être vieux, et vous êtes heureux, vous, les jeunes, qui verrez une belle époque.

Pierre. — Eh ! doucement, ami.

Vous, par le mot république, vous entendez la révolution sociale, et, pour qui sait vous comprendre, vous avez raison. Mais vous vous exprimez mal, en somme, car la république n’est pas du tout ce que vous voulez dire. Mettez-vous bien dans l’idée qu’un gouvernement républicain est un gouvernement comme les autres ; seulement, au lieu d’un roi, il y a un président et des ministres, qui ont en réalité les mêmes pouvoirs. Nous le voyons bien ici en France et quand bien même nous aurions la république démocratique que les radicaux nous promettent, en quoi serions-nous plus avancés ? Au lieu de deux Chambres, nous n’en aurions qu’une, celle des députés ; mais est-ce que nous n’en continuerions pas moins à être soldats, à travailler comme des esclaves malgré les promesses mirobolantes de messieurs les députés ?

Voyez-vous, tant qu’il y aura des riches et des pauvres, ce sont les riches qui commanderont. Que nous soyons en république ou en monarchie, les faits qui résultent de la propriété individuelle existeront toujours. La concurrence réglant les rapports économiques, la propriété se concentrera en peu de mains, les machines enlèveront le travail aux ouvriers et les masses seront réduites à mourir de faim ou à vivre d’aumônes. D’ailleurs, il en existe à l’heure actuelle, des républiques, sans compter la nôtre qui devait donner monts et merveilles ; eh bien ! est-ce qu’elles ont apporté une amélioration à la condition des prolétaires ?

Jacques. — Comment cela ? Et moi qui croyais que république voulait dire égalité !

Pierre. — Oui, ce sont les républicains qui le disent et ils tiennent le raisonnement suivant : « En république, disent-ils, les députés, qui font des lois, sont élus par tout le peuple ; par conséquent, lorsque le peuple n’est pas content, il envoie de meilleurs députés et tout s’arrange ;