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certains produits pour empêcher la baisse des prix. Et, en effet, tandis qu’il prétendent qu’il n’y a pas assez de richesses naturelles, ils laissent incultes de grands espaces de terre, et sans travail un grand nombre d’ouvriers.

Mais à cela ils vous répondent que, quand bien même toutes les terres seraient mises en culture et exploitées par tous les hommes de la manière la plus intelligente, la production de la terre étant limitée alors que l’accroissement de la population ne l’est pas, il arriverait toujours un moment où la production des substances alimentaires resterait stationnaire, tandis que la population augmenterait indéfiniment, et la disette avec elle. C’est pour cela, disent-ils, que l’unique remède aux maux sociaux est que les pauvres ne fassent point d’enfants ou du moins n’en fassent qu’un petit nombre. J’ai peu étudié et j’ignore si leur principe est vrai, mais ce que je sais, c’est que leur remède ne remédie à rien. Nous le voyons bien dans les pays où la terre est abondante et la population faible : il y a autant et même plus de misère que dans les pays où la population est dense. Il faut donc changer l’organisation sociale, mettre toutes les terres en culture. Plus tard, si la population tendait à trop augmenter, il serait temps de songer à limiter le nombre des enfants…

Mais revenons à la question du partage du produit entre le propriétaire et le travailleur. Ce système existait autrefois pour le travail des champs dans quelques parties de la France, comme il existe encore en Toscane, mais il a disparu peu à peu, parce que les propriétaires ont plus d’avantage à faire travailler à la journée. Aujourd’hui, avec les machines, avec l’agriculture scientifique, avec les produits qui viennent du dehors, c’est devenu une nécessité pour les propriétaires d’adopter la grande culture faite par des ouvriers salariés ; ceux qui ne le feront pas seront ruinés par la concurrence.

Pour conclure en peu de mots, je vous dirai que si le système actuel se perpétue, voici quels en seront les résultats : la propriété se concentrera de plus en plus dans les mains d’un petit nombre et le travailleur sera réduit à la misère par les machines et les méthodes de production rapide. Ainsi nous aurons quelques grands seigneurs, maîtres du monde, un petit nombre d’ouvriers attachés au service des machines, puis des valets et des gendarmes pour servir et défendre les seigneurs. La masse du peuple, ou mourra de faim, ou vivra d’aumônes. On commence déjà à le voir : la petite propriété disparaît, le nombre des ouvriers sans travail augmente, et les messieurs, soit par peur, soit par pitié pour tous ces gens qui meurent de faim, organisent des cuisines économiques.

Si le peuple ne veut pas être réduit à mendier son pain à la porte des riches et dans les mairies, comme autrefois à la porte des couvents, il n’y a qu’un moyen : s’emparer de la terre et des machines et travailler pour son propre compte.

Jacques. — Mais si les gouvernements faisaient de bonnes lois pour obliger les riches à ne pas faire souffrir les pauvres gens ?