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l’un d’eux est plus agréable que l’autre et que, grâce à lui, l’homme acquiert la conscience et la dignité, il n’est pas juste qu’une partie de l’humanité soit condamnée à l’abrutissement du travail exclusivement manuel, pour laisser à quelques hommes seulement le privilège de la science et par suite du pouvoir ; par conséquent, je le répète, tous doivent travailler à la fois physiquement et intellectuellement.

Jacques. — Cela aussi, je le comprends ; mais, parmi les travaux manuels, il y en aura toujours qui seront durs et d’autres faciles, il y en aura de beaux et de laids. Qui voudra, par exemple, se faire mineur ou vidangeur ?

Pierre. — Si vous saviez, mon cher Jacques, quelles inventions et quelles études on a faites et l’on fait chaque jour, vous comprendriez que, même aujourd’hui, si l’organisation du travail ne dépendait pas de ceux qui ne travaillent pas et qui, par conséquent, ne s’inquiètent nullement du bien-être des travailleurs, même aujourd’hui tous les métiers manuels pourraient être exercés dans des conditions telles qu’ils n’auraient plus rien de répugnant, de malsain et de trop pénible, et par conséquent pourraient être exercés par les travailleurs qui les choisiraient volontairement. Si la chose est possible actuellement, représentez-vous alors ce qui arriverait, le jour où, tous devant travailler, les efforts et les études de tous seraient dirigés de manière à rendre le travail moins lourd et plus agréable !

Et si, après cela, il y avait encore des métiers qui continueraient à être plus durs que les autres, on chercherait à compenser cette inégalité au moyen de certains avantages ; sans compter que lorsqu’on travaille tous en commun dans l’intérêt de tous, on voit naître cet esprit de fraternité et de condescendance qui est le propre de la famille, de telle sorte que, bien loin de vouloir s’épargner une fatigue, chacun cherche à faire lui-même les choses les plus pénibles.

Jacques. — Tu as raison, mais si tout cela n’arrive pas, comment fera-t-on ?

Pierre. — Eh bien ! si, malgré tout, il restait encore des travaux nécessaires que personne ne voudrait faire par libre choix, alors nous les ferions tous, chacun un peu, en travaillant, par exemple, un jour par mois, par semaine, par an, ou autrement. Mais soyez tranquille, si une chose est nécessaire à tous, on trouvera bien le moyen de la faire. Est-ce qu’aujourd’hui nous n’acceptons pas d’être soldat pour plaire à d’autres ? Est-que nous n’allons pas combattre contre des gens qui ne nous ont fait aucun mal, et même contre nos amis et nos frères ? Il vaudra mieux, je crois, être travailleur pour notre plaisir et pour le bien de tous.

Jacques. — Tu sais que tu commences à me persuader. Pourtant il y a encore quelque chose qui n’entre pas bien dans ma tête. C’est une grosse affaire d’enlever la propriété aux messieurs. Je ne sais pas, mais… est-ce qu’il n’y aurait pas moyen de faire autrement ?

Pierre. — Et comment voulez-vous faire ? Tant qu’elle restera entre les mains des riches, ce sont eux qui commanderont et chercheront leurs