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meilleur de leur produit, sont cependant assez bien traités par rapport aux autres travailleurs ; la soirée, pour eux, est une fête ; quand ils ont quitté la veste de travail, ils vont où ils veulent sans craindre que les gens les toisent et les bafouent. Au contraire, allez dans une mine, et vous verrez de pauvres gens qui travaillent sous terre, dans un air pestilentiel et qui consument en peu d’années leur vie pour un salaire dérisoire ; si, par hasard, après avoir fini leur travail, ils se permettent d’aller là où se réunissent les messieurs, bien heureux si on ne les en chasse que par des railleries ! Comment s’étonner après cela qu’un homme préfère être orfèvre que mineur ?

Je ne vous dis rien de ceux qui ne manient d’autres ustensiles que la plume. Figurez-vous cela : un homme qui ne fait que de mauvais articles de journaux gagne dix fois plus qu’un paysan et il est estimé bien plus qu’un honnête travailleur.

Par exemple, les journalistes travaillent dans des salles élégantes, les cordonniers dans de tristes échoppes ; les ingénieurs, les médecins, les artistes, les professeurs, quand ils ont du travail et qu’il savent bien leur métier, vivent comme des seigneurs ; les maçons, au contraire, les imprimeurs, les ouvriers de toutes sortes, et l’on peut ajouter aussi les maîtres d’école, meurent de faim même en se tuant de travail. Je ne veux pas dire par cela, entendez-moi bien, que seul le travail manuel est utile, car l’étude est au contraire le seul moyen de vaincre la nature, de se civiliser et d’acquérir plus de liberté et de bien-être ; les médecins, les ingénieurs, les chimistes, les professeurs sont aussi utiles et nécessaires dans la société moderne que les paysans et autres ouvriers. Je veux dire seulement que tous les travaux utiles doivent être également appréciés et faits de telle sorte que le travailleur trouve une égale satisfaction à les faire ; je veux dire aussi que les travaux intellectuels, qui sont par eux-mêmes un grand plaisir, qui donnent à l’homme une grande supériorité sur celui qui reste dans l’ignorance, doivent être accessibles à tous et non pas rester le privilège d’un petit nombre.

Jacques. — Mais si tu dis toi-même que le travail intellectuel est un grand plaisir et donne un avantage sur ceux qui sont ignorants, il est clair que tous voudront étudier, moi le premier. Et alors qui fera les travaux manuels ?

Pierre. — Tous, parce que tout en étudiant les lettres et les sciences, on doit faire aussi un travail physique ; tous doivent travailler avec la tête et les bras. Ces deux genres de travail, loin de se nuire, se soutiennent, parce que l’homme, pour bien se porter, a besoin d’exercer tous ses organes : le cerveau aussi bien que les muscles. Celui qui a l’intelligence développée et qui est habitué à penser réussit mieux dans le travail manuel, et celui qui est en bonne santé, comme on est lorsqu’on exerce ses membres dans des conditions hygiéniques, a aussi l’esprit plus éveillé et plus pénétrant.

Du reste, puisque les deux genres de travail sont nécessaires, puisque