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Pierre. — Certainement.

Jacques. — Et s’il y en a qui veulent vivre sans travailler ? La fatigue est dure et ne plaît même pas aux chiens.

Pierre. — Vous confondez la société, telle qu’elle est aujourd’hui, avec la société telle qu’elle sera après la révolution. La fatigue, avez-vous dit, ne plaît même pas aux chiens ; mais pourriez-vous rester des journées entières sans rien faire ?

Jacques. — Moi non, parce que je suis habitué au travail, et quand je n’ai rien à faire, il me semble que les mains me démangent ; mais il y en a tant qui resteraient toute la journée à l’auberge à jouer aux cartes ou à se promener sans rien faire.

Pierre. — Aujourd’hui ; mais après la révolution, il n’en sera plus de même et je vous dirai pourquoi. Aujourd’hui, le travail est pénible, mal payé et méprisé. Aujourd’hui, celui qui travaille doit se tuer de fatigue, mourir de faim et être traité comme une bête de somme. Celui qui travaille n’a aucun espoir, il sait qu’il devra finir sa vie à l’hôpital s’il la ne finit pas aux galères ; ne pouvant s’occuper de sa famille, il ne jouit en rien de la vie et souffre continuellement des mauvais traitements et des humiliations de toutes sortes. Celui qui ne travaille pas, au contraire, jouit de toutes ses aises ; il est prisé, estimé ; tous les honneurs, tous les plaisirs sont pour lui. Même parmi les ouvriers, celui qui travaille le moins et fait les choses les moins pénibles gagne davantage et est plus estimé. Quoi d’étonnant alors que les gens travaillent avec dégoût et saisissent avec empressement l’occasion de ne rien faire ?

Quand, au contraire, le travail se fera dans des conditions humaines, pour un temps raisonnable, et conformément aux lois d’hygiène ; quand le travailleur saura qu’il travaille pour le bien-être des siens et de tous les hommes ; quand le travail sera la condition indispensable pour être estimé dans la société et que le paresseux sera livré au mépris public comme aujourd’hui l’espion et l’entremetteur, qui voudra alors renoncer à la joie de se savoir utile et aimé, pour vivre dans une oisiveté aussi funeste à son corps qu’à son esprit ?

Aujourd’hui même, à part quelques rares exceptions, tout le monde éprouve une répugnance invincible, comme instinctive, pour le métier de mouchard ou pour celui d’entremetteur. Et pourtant, en faisant ces métiers abjects, on gagne beaucoup plus qu’à piocher la terre ; on travaille peu ou point et l’on est plus ou moins protégé par l’autorité. Mais comme ce sont des métiers infâmes, qui marquent une profonde abjection morale, presque tous les hommes préfèrent la misère à cette infamie. Il y a, c’est vrai, des exceptions ; il y a des hommes faibles et corrompus qui préfèrent l’infamie, mais c’est parce qu’il ont été obligés de choisir entre celle-ci et la misère. Quel est, au contraire, celui qui choisirait une vie infâme et méprisable s’il pouvait, en travaillant, avoir le bien-être et l’estime publique ? Certes, si un tel fait venait à se