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entendu parler notre saint homme de curé, et il disait que toi et tes compagnons vous êtes une bande d’excommuniés ; j’ai entendu M. Antoine, qui a étudié et qui lit toujours les journaux, et lui aussi prétend que vous êtes ou des fous ou des bandits qui voudriez manger et boire sans rien faire, et qui, au lieu de réaliser le bien des travailleurs, empêchez les messieurs d’arranger les choses le mieux possible.

Pierre. — Jacques, si nous voulons raisonner, laissons en paix Dieu et les saints, parce que, voyez-vous, le nom de Dieu sert de prétexte et de justification à tous ceux qui veulent tromper et opprimer leurs semblables. Les rois prétendent que Dieu leur a donné le droit de régner, et quand deux rois se disputent un pays, ils prétendent tous les deux être les envoyés de Dieu. Dieu, cependant, donne raison à celui qui a le plus de soldats et les meilleures armes. Le propriétaire, l’exploiteur, l’accapareur, tous parlent de Dieu. Le prêtre catholique, le protestant, le juif, le musulman se disent aussi représentants de Dieu ; c’est au nom de Dieu qu’ils se font la guerre et essaient chacun à faire arriver l’eau à leur moulin. Du pauvre, aucun d’eux ne s’inquiète. À les entendre, Dieu leur aurait tout donné et nous aurait condamnés, nous, à la misère et au travail. À eux le paradis dans ce monde et dans l’autre ; à nous l’enfer sur cette terre, et le paradis seulement dans l’autre monde, si toutefois nous avons été des esclaves bien obéissants.

Écoutez, Jacques, dans les affaires de conscience, je ne veux pas entrer et chacun est libre de penser comme il veut. Quant à moi, je ne crois ni à Dieu, ni à toutes les histoires des prêtres, parce que, de toutes les religions dont les prêtres prétendent être en possession de la vérité, aucune ne peut fournir des preuves en faveur des dogmes qu’elle affirme. Moi aussi, je pourrais, si je voulais, inventer un tas de sornettes et dire que celui qui ne me croira pas et ne m’obéira pas sera condamné aux peines éternelles. Vous me traiteriez d’imposteur, mais si je prenais un enfant, si je lui disais toujours la même chose sans que personne pût lui dire le contraire, évidemment il croirait en moi, de même que vous croyez en votre curé.

Mais, en somme, vous êtes libre de croire si bon vous semble ; cependant, ne venez pas me raconter que c’est Dieu qui veut que vous travailliez et souffriez de la faim, que vos fils deviennent maigres et malades faute de pain et de soins, que vos filles soient exposées à devenir les maîtresses de votre patron, parce qu’alors je dirais que votre Dieu est un assassin.

Si Dieu existe, ce qu’il veut, il ne l’a dit à personne. Pensons donc à faire dans ce monde notre bonheur et celui de nos semblables. S’il y avait un Dieu dans l’autre monde, et que ce Dieu fût juste, il ne nous en voudrait pas d’avoir lutté pour faire du bien, au lieu d’avoir fait souffrir ou permis qu’on fit souffrir les hommes, qui, d’après ce que dit le curé, sont tous des créatures de Dieu, et par conséquent nos frères.

Et puis, croyez-moi, aujourd’hui que vous êtes pauvre, Dieu vous condamne au labeur le plus pénible ; si demain vous réussissez à gagner beaucoup d’argent par un moyen quelconque, même en commettant l’action la plus vile, vous acquerrez immédiatement le droit de ne plus tra-