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de canailles et de gibier de galère si nous cherchons à améliorer notre sort, à nous soustraire à leur tyrannie. Mes compagnons et moi, nous avons été en prison, c’est vrai, mais c’était pour une cause juste ; nous irons encore, et peut-être nous arrivera-t-il quelque chose de pire, mais ce sera pour le bien de tous, et parce que nous voulons détruire les injustices et la misère. Et vous qui avez travaillé toute votre vie et souffert comme nous de la faim, vous qui serez peut-être forcé d’aller mourir à l’hôpital quand vous ne pourrez plus travailler, vous ne devriez pas vous mettre avec les messieurs et le gouvernement pour tomber sur ceux qui cherchent à améliorer le sort des pauvres gens.

Jacques. — Mon cher enfant, je sais bien que le monde va mal, mais vouloir le changer, c’est comme si tu voulais redresser les jambes à un chien cagneux. Prenons-le donc comme il est, et prions Dieu qu’au moins la soupe ne nous manque point. Il y a toujours eu des riches et des pauvres ; nous qui sommes nés pour travailler, nous devons travailler et nous contenter de ce que Dieu nous envoie, sinon c’est au détriment de la paix et de l’honneur.

Pierre. — Et que me parlez-vous d’honneur ! Les messieurs, après nous avoir tout enlevé, après nous avoir contraints à travailler comme des animaux pour gagner un morceau de pain, tandis qu’ils vivent, eux, de nos sueurs sans rien faire, dans la richesse et dans la débauche, les messieurs viennent ensuite dire que nous devons, pour être d’honnêtes gens, supporter volontiers notre sort et les voir s’engraisser à nos dépens. Si, au lieu de cela, nous nous rappelons que nous sommes, nous aussi, des hommes, et que celui qui travaille a le droit de manger, alors nous sommes des bandits, les gendarmes nous traînent en prison et les prêtres, par surcroît, nous envoient en enfer.

Laissez-moi vous le dire, Jacques, à vous qui n’avez jamais sucé le sang de votre semblable : les vrais bandits, les gens sans honneur sont ceux qui vivent d’oppression, ceux qui se sont emparés de tout ce qui est sous le soleil, et qui, à force de persécutions, ont réduit le peuple à l’état d’un troupeau de moutons qui se laissent tranquillement tondre et égorger. Et vous vous mettriez avec ces gens-là pour nous tomber dessus ! Ce n’est donc pas assez qu’ils aient pour eux le gouvernement qui, étant fait par les riches et pour les riches, ne peut que les soutenir ; faut-il encore que nos propres frères, les travailleurs, les pauvres, se ruent sur nous, parce que nous voulons qu’ils aient du pain et la liberté?

Ah, si la misère, l’ignorance forcée, les habitudes contractées pendant des siècles d’esclavage n’expliquaient pas ce fait douloureux, je dirais que ce sont eux qui sont sans honneur et sans dignité, ces pauvres qui se font les suppôts des oppresseurs de l’humanité, et non pas nous qui sacrifions ce misérable morceau de pain et ce lambeau de liberté pour tâcher de réaliser l’état où tous seront heureux.

Jacques. — Oui, certainement, tu dis de belles choses ; mais, sans la crainte de Dieu, on ne fait rien de bon. Tu ne m’en feras pas accroire. J’ai