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SACRIFICIUM VESPERTINUM

— J’y compare le pari de Pascal avec une démarche toute voisine : les confessions de semi-incrédules. Les conditions d’humilité docile, évidentes dans les secondes, éclairent aussi le premier.

Elle avait fermé l’armoire et s’était rapprochée de lui pour ne pas le fatiguer. Il cessa de la regarder, contempla un fin nuage rose feu, long comme un radeau, le bas parfaitement lisse, le haut présentant la surface rugueuse d’une croûte de pain, que la glace de l’armoire découpait pour lui dans le vaste soir.

— Oui, toujours des conditions, des causes secondes, un mécanisme mental, ce psychisme positif dont s’accommode Dieu. Ceux qui voient clair traversent ce mécanisme. Les autres s’y engluent, le croient suprême et non pas seulement instrumental. Toujours la même opposition. Toujours deux manières de comprendre. Et c’est pourquoi l’on convainc si peu.

Sa pauvre voix coupée par les arrêts logiques et les reprises de souffle chuchotait dans cette petite chambre trop blanche, médicale et standardisée. A la fois maîtrisante et exténuée, pleine d’une intelligence désincarnée et déjà éternelle, persistait la raide précision de jadis. Christine pensa qu’il l’aurait jusqu’à la fin et que c’était sa manière de mourir debout. Elle entrouvrit les lèvres et fléchit les épaules, invisiblement.

La tête supportée dans ses hauts oreillers, tout son poids supprimé, Augustin continuait dans cette lucidité et ce vide facile que donnent les extrêmes faiblesses et les jeûnes :

— Naturellement on m’accusera de fléchissement intellectuel, d’asthénie mentale in extremis.

Comme elle protestait :

— Oh ! fit-il avec ce sourire assez hautain qu’elle connaissait…

Après quelques secondes de silence :

— C’est une épreuve dont la Mort m’évite l’orgueil.

Une des réflexions qui avait suivi sa confession à Largilier lui revint aux lèvres ; « Une fuite vers Dieu par les raccourcis. »