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de ses camarades, Vaton souffrait au contraire de tout mépris émané d’Augustin. Son mutisme le montra et ses sourires blessés.

Les problèmes religieux s’abordaient en classe d’une tout autre façon.

Seules les leçons d’histoire se permettaient, en cette matière, des appréciations directes. L’histoire de l’Église, de Constantin à Léon XIII, traversait les programmes d’un grand courant charrieur de faits sociaux et de passions humaines. Augustin décida une fois pour toutes qu’aucune critique n’y était gênante. Elles ne pouvaient viser que les formes terrestres et faillibles, les régimes contingents du fleuve divin. Leur description à vol d’oiseau ne mettait en lumière, selon les lois du genre, que les accidents et les ruptures de pente, les cataractes et les tourbillons. Mais aux longs moments pacifiques, dans les biefs calmes, sous l’abri des ombrages, le lit du fleuve, méconnu, sans histoire, disparaissait sous des eaux unies pendant toute la durée des temps heureux.

Toutes les autres classes, au contraire, adaptaient aux allusions dogmatiques cette respectueuse prudence qu’exigent les manches calorifuges insuffisants et les objets trop chauds. Tous les maîtres se ressemblaient en cette discrétion, ou presque. Nulle différence entre le professeur de seconde, qu’on voyait parfois à la messe, le vieil éclectique de philosophie qui s’y rendait régulièrement et le nouveau seigneur de rhétorique, l’aimable M. Bougaud, que, dès le premier trimestre, on savait candidat radical-socialiste aux futures élections municipales.

Les idées religieuses s’exposaient avec une sympathie égale à la sympathie pour les thèses inverses. Ce que le professeur de première appelait « la grande tradition du libéralisme universitaire », consistait à pousser l’explication, en matière religieuse comme en toute autre, aussi loin que possible, en se gardant soigneusement de toucher à la caractéristique essentielle et aux conclusions suprêmes. La libre raison posait en une autonomie totale, toute question,