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phiques » rendirent un son grêle, sans qu’Augustin sût bien quel devait être le son plein. Des éclaircissements brumeux éclairèrent peu et l’on ne pouvait dire au juste où commençait le mal éclairci. Un continuel usage de termes abstraits, traînant en laisse des métaphores, jetait, selon Augustin, de décevants reflets sur une obscurité essentielle. Son père n’avait pas en vain souri devant certaines idéologies et expliqué ses sourires.

— Les vérités éternelles, disait M. Méridier, ne se dévoilent pas qu’aux yeux portant lunettes de philosophes…

Ces demi-ténèbres cependant finirent par avoir leur charme de clair-obscur. Pendant tout un mois de printemps précoce, baigné de pluies, chauffé d’un soleil si frais qu’on l’arrosait sans doute en même temps que les fleurs, de beaux mots s’enchâssèrent dans la prose de Taine, lourds de destin et de richesses, énigmatiques, mi-lumineux, pleins de prolongements, de couleurs et d’échos, ajournant leur secret dernier.

Au demeurant, peu importait. Tout était provisoire, tant les lumières que les ignorances. Toutes dureraient un an juste et disparaîtraient d’un seul coup, en philosophie, au lever d’un prodigieux matin.

Pour la première fois, Augustin allait cesser de s’alimenter exclusivement de la pensée paternelle. Certes, il lui devrait encore beaucoup, mais tous deux avaient conscience d’un certain allongement du lien qui les unissait. Quelque chose dans leur intimité, et le soin même qu’ils mettaient à l’entretenir, trahissait cette fine et invisible fêlure, née de rien autre que du temps.

Tout restait parfaitement semblable. Dans leur bureau commun, le petit poêle imita tout l’hiver le ronflement des précédents hivers. Mais ni ces ronrons de chat heureux, ni les photographies, épuisées par leur persistance, ne s’ajustaient aux temps nouveaux.

Douloureux pour Augustin, cet état l’était encore plus pour le père, parce qu’il avait commencé une seconde jeunesse toute d’holocauste, où rien ne comptait plus que son