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Il se gardait bien d’éviter les textes brûlants :

J’aime et je veux pâlir ; j’aime et je veux souffrir ;
J’aime et pour un baiser, je donne mon génie…

— Cette frénésie, éclatant après la plus écrasée résignation, une lassitude d’intensité égale la compense :

Partout où, sans cesse altéré
De la soif d’un monde ignoré,
J’ai suivi l’ombre de mes songes,
………………………
Partout où le long des chemins,
J’ai posé mon front dans mes mains…

— … Sans parler de ce rythme de glas ni de ces magnifiques voyelles funèbres, que te semble du contenu sentimental ?

Le père continuait, dans le silence de son fils :

— L’âme de Musset, l’âme passionnée est toute ondulation : abattement, puis excitation ; affaiblissement après frénésie. C’est une loi, qu’on n’atteigne l’affaiblissement final de toutes les grandes émotions, amour ou deuil (le père les mêlait comme de l’eau au vin), que par des mouvements périodiques. De ces secousses de l’âme, ces vers, — et seulement les plus expressifs, — ne nous donnent que quelques-unes. Imagine Oreste, au lieu de tuer Pyrrhus, se laissant le temps de s’apaiser, ce qui serait préférable pour tout le monde.

Le petit visage d’Augustin est tendu, fermé, sans confidence. Cette frénésie d’amour a dû se sentir en passant, tomber en eau profonde, avec quelques ronds tranquilles.

Ils longeaient d’épaisses clôtures en ronces, chèvrefeuilles et saules, bordant des carrés d’herbage fermés comme des jardins. Sur les graminées intactes d’avant les fauchaisons, les souffles passaient, retroussant l’herbe, montrant les dessous en peluche bleuâtre, courbant tout le pré pour un long salut végétal de la plus docile grâce, à jamais inconsciente.

Ce soir même Augustin s’aperçut qu’il ne pourrait dormir.