Page:Malègue - Augustin ou le Maître est là, tome I.djvu/72

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

blondasse, long, lassé, ses compositions françaises offraient d’heureuses trouvailles parmi des fioritures qu’Augustin savait naïves. Auprès d’eux, vint Marguillier, fils fantaisiste de l’âpre maire libre penseur et que son nom humiliait. Il avait écrit ses Mémoires pendant toute la classe de troisième, dédiant chaque chapitre à des prénoms féminins : Julie, Agnès et Maria-Annunciata. Appiat, son voisin, dur brachycéphale brun, préparait, dans le même temps, l’académie de Médecine en dessinant des squelettes où il inscrivait le nom des os. Frappés de la grâce dès leur première semaine de seconde, tous ces passe-temps leur parurent puérils. Ils se passionnèrent pour l’Énéide et les ouvrages de Boissier. Derrière eux, les bancs du fond bruissaient à voix basse, comme friture sur feu doux.

Ils menaient la partie principale de leur existence dans une étude voûtée, en contrebas de la rue, pleine de rêves, d’alibis, d’enfantillage et de liberté. Augustin n’y entrait jamais. Quelques volumes dépareillés, parus entre 1880 et 1900, refluaient jusqu’à ces repaires. On y avait vu circuler un Bourget, première manière, un équivoque Pierre Louys, et deux volumes de Zola, munis du cachet de location de la librairie dite « Modern’ » prêtés par des externes hardis.

D’autres échantillons dataient de plus vieux âges. Un tome dépareillé des Misérables contournait toute la hiérarchie des pièges, du Maître d’études au Censeur, avant de faire, la nuit, les délices d’Appiat, dans un lieu caché, connu de lui seul, peuplé de vieilles couvertures et de livres au rebut, éclairé par un mince filet de veilleuse venu du dortoir.

Le fait qu’Appiat, ignorant Paris, prenait le Luxembourg pour une église, ajoutait aux rencontres de Marius et de Cosette une part d’inexplicable, en décuplait la poésie. Vaton cachait un exemplaire des Contes d’Espagne et d’Italie, recommençant, sur son théâtre intérieur, un Romantisme de guitare et le prolongeant de ses propres vers. Quelques lagunes et beaucoup d’eaux-mortes stagnent ainsi, pris aux grands volumes d’eaux des anciens printemps.