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comprit par les gestes. Soulevé de terre et courbé pour un bond, il criait : « Tiens-le donc » et invoquait Dieu. La victime attendait, tourbillon de mépris et de peurs domptées, d’une impassibilité éperdue, comme s’il dépendait de sa volonté de rester ou de partir.

Un haut gaillard, déjà barbu, méprisant et désabusé, émit d’un ton traînard les mots libérateurs, calma cette sorte de flots :

— Fous la paix à ce gosse. C’est le petit de Larme-à-l’œil.

Ainsi Augustin connut à la fois qu’il était sauvé et le surnom de son père.

Il se rappela être parti avec une lenteur affectée, pour garder les apparences, et parce que la secousse lui coupait les jambes. Il était extraordinaire qu’autour de lui rien n’eût changé : même sol souillé, même saleté de la terre, mêmes fissures noires dans les murailles, même incurie d’entretien. Entre les hauts murs, un ciel soufré, comme dans les livres de géographie, au chapitre des simouns.

Ainsi le pauvre enfant s’en allait-il, après cette initiation inattendue et irrévocable.

Évidemment, il manquait d’humour, de légèreté, d’ironie. Il exagérait le sérieux des choses ; il ignorait l’élégance de l’immoralisme et l’efficace des apparences nonchalantes. On lui avait épargné, bien à tort sans doute, la contre-éducation spontanée des collectivités d’adolescents, libéralement dispensée par les préaux de lycées, aux jeunes occupants qui s’y ébattent. Il est de tradition sur les cours d’internats, que des garçons de douze ans puissent commencer les réalités physiologiques et les manipuler, bien avant que leur soient ouverts les développements sentimentaux de l’adolescence. C’est la forme que prend chez ces emmurés l’effort vers la lumière et vers la vie.

Les trains emmènent, au début des vacances, des compartiments pleins de petits chanteurs. Ils entonnent de hideux refrains de caserne et croient s’acquitter de quelque fonction héroïque, libératrice et hardie. L’État éduca-