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morceaux privilégiés dans l’immense étoffe du temps. Il éprouve comme un désir sans poussée et sans pointe : vivre docilement blotti, serré contre les siens, et aussi dormir la fenêtre ouverte en une pure nuit d’été. Il n’en sait pas plus long. C’est un écolier de douze ans.

Ainsi se poursuivait la formation morale de cet enfant pas très semblable aux autres, réservé plutôt que timide, assez distant, froid, tendre, très réfléchi, très volontaire. Peu de souvenirs précis se détachent de ces premières années. Un chuchotement général, formé de mille superposés, compose un puissant murmure de monotonie heureuse. Ce sont des jours qui se ressemblent. Leur série tout entière se courbe vers le futur. Une Providence maternelle laisse ce petit dans le repos.

Vers la fin de la « troisième », une secousse l’en tira.

Malgré son horreur pour les cours de récréation, Augustin s’était promis d’y faire, le plus souvent qu’il pourrait, l’effort d’y attendre son père. Un samedi soir, M. Méridier fut en retard.

La cour des Moyens contenait des élèves de troisième, de seconde, et de grands garçons de la section D où l’on ne fait pas de latin. Rustres robustes, plus hauts de la tête que leurs camarades classiques, ils étaient fort respectés par eux. Comme à toutes les récréations de quatre heures, le concierge offrait sous les préaux de vieux bâtons de nougat, des biscuits secs d’un rose chimique et des tablettes de chocolat Meunier, papier jaune et goût fin, en bel ordre sur une toile cirée. De grands gaillards à galoches, en longues blouses noires que l’absence de boutons rendait voltigeantes, longeaient les murs en discutant. Dans un coin, trois arbres mouraient, trois acacias débiles, dévêtus d’écorce et tatoués de noms.

Dans leurs parties hors d’atteinte, l’anémie des grappes poussiéreuses faisait penser à d’autres lieux où des arbres