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une courte récréation d’internes et d’externes mêlés, lui cria un jour d’une rauque voix d’adolescent qui fait l’homme :

— Ben, mon vieux ! ce qu’on l’a chahuté, ton paternel. Si la Vache s’était pas amenée !…

La Vache était le Censeur.

Augustin, élève de troisième, n’avait pas encore treize ans. Il portait un sarrau noir bien tiré, à trois plis, une ceinture de cuir, un col marin blanc, pur et dédaigneux. Sa peur de la brute le faisait trembler.

— Pendant ce temps, des chiens galeux devaient aboyer aussi dans la rue, fit-il, s’exerçant à un beau mépris tranquille et dangereux.

Puis il attendit le coup de poing.

Au pied d’un acacia misérable, des papiers déchirés souillaient la terre, parmi des trous à billes et des croûtons. Lehugueur Marcel, sans plus penser à ce qu’il venait de dire qu’à la réponse, planta, sans malice, dans un chanteau de pain, une mâchoire inférieure féroce. Le mépris d’Augustin s’en accrut.

Sur le seuil de la classe, M. Méridier apparut enfin, en compagnie du Censeur. La poignée de main qu’ils se donnèrent jeta par terre la vieille serviette et le vieux parapluie, solidaires l’un de l’autre dans la même gaucherie. En les relevant, Augustin vit la barbiche jaune et blanche, le plan miroitant du lorgnon, le visage de tendresse et de moquerie tristes. Il prit le bras de son père d’un air joyeux.

— J’ai encore eu dix sur dix, mon Papa, pour le thème…

Ils continuèrent de commenter le beau thème si travaillé, extrait du Sermon sur la Mort, pour lequel son père avait suggéré les passages du De Officiis dont il fallait s’inspirer en quelques endroits.

Mais dans le temps même où ils se parlaient, l’enfant se reprochait d’avoir précisément choisi la banalité qu’il ne fallait pas dire : la note dix sur dix lui était tellement habituelle que ni lui ni son père ne la remarquaient. De même n’eût-il pas dû ressusciter l’appellation enfantine : « mon