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Des classes qui partaient à celles qui venaient, la tradition en passait comme d’un plaisir sans risque, une activité saine et libre, une sorte de devoir.

Le maître finissait par ne plus donner ses leçons qu’à trois ou quatre élèves, rassemblés sur le banc de devant, futurs lauréats de concours, précieusement recueillis par le professeur de première. Il multipliait pour eux les remarques de la pédagogie la plus techniquement intelligente. Le reste bruissait, se battait, protestait avec des cris de dents arrachées quand le rythme des dictées de devoirs leur paraissait trop rapide, lisait des romans à trente-cinq centimes, se passait des illustrés vicieux.

Un quart d’heure avant le tambour des fins de classe, tous criaient : « C’est l’heure, M’sieu, c’est l’heure. » Parfois au sein d’un bruit général anonyme et désintéressé, sans autre but que lui-même, comme une œuvre d’art, une insolence gratuite partait en météore. La mise à la porte prononcée par le maître exsangue dont les bras tremblaient, était discutée, démentie, confirmée et enfin rapportée au sein d’un bourdonnement collectif émis par le nez, bouche close, gonflant, nuancé, musical, comme un effet de chœurs russes.

En général, après des incidents de cet ordre, le professeur tâchait d’essuyer de son mieux sans la montrer, en se retournant, s’il le pouvait, vers le tableau noir, une sécrétion lacrymale collant à son lorgnon.

Une année, la classe fut le théâtre d’une scène célèbre.

Un fort gaillard de dix-neuf ans, entré au jour de l’An, vocation tardive des études classiques, s’installa sur le fameux banc de devant. Rude bûcheur cantalien qu’agaçait ce bruit, il commença par tourner vers le fond de la salle une menaçante figure boutonneuse. Puis, se levant sans permission, avec une simplicité d’homme, concentré, voûté, énorme, il abattit, d’une main adulte, sur la plus insolente tête à claque, une gifle massive et solitaire dont l’effet dura trois mois.

L’élève Lehugueur Marcel, rencontrant Augustin dans