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I

LE PÈRE ET L’ENFANT


Ces très anciennes récollections n’ont plus d’intérêt maintenant. Augustin les exhume de vieilles caisses, au hasard des explorations. Il transmet dédaigneusement aux frères et sœurs plus jeunes les chevaux sans queue mais avec pattes, les bonshommes usés mais gardant leur tête, les livres d’enluminures salis, mais dont aucun feuillet n’est arraché, conservés par un petit garçon sérieux, plein de soin et de méthode.

C’est plus tard, beaucoup plus tard, qu’il découvrit la vraie couleur de ces quatre premières années. Invisible pour un enfant de quatre ou cinq ans, autant que pour un escargot le plan des herbages où il s’absorbe, elle est encore très difficile à voir quand on a le double de cet âge.

Augustin ne se voyait pas grandir. Il grandissait, tout bonnement. Par périodes, il totalisait, ayant le sens de l’ordre. À certaines dates symétriques, il se retournait, pour voir, d’un coup d’œil, les mois laissés derrière lui. Les formes de pensée des classes dépassées périmaient chaque année, en juillet exactement.

Dès la sixième, une habitude nouvelle naquit : la marche quotidienne vers le lycée, à huit heures du matin. Une serviette remplaça le cartable. Elle passait alternativement du bras droit au bras gauche, suivant que l’un ou l’autre était fatigué. La main inoccupée ne reposait plus dans celle de son père, qui marchait près de lui. Elle pendait libre, solitaire, n’ayant plus besoin de secours. À de tels signes se mesure une autonomie légitimement croissante.