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Antoine remonte ses petites épaules lourdes, serre les dents, vrille ses yeux violents sur un point de la table où, parmi les pelures de fromage et de saucisson, invisibles pour les autres, mais clairs pour lui, brillent les yeux des marchands maîtres. Sur sa figure, rayonne une férocité tenace et jeune, à longue échéance.

Le portrait d’Antonin regarde, au travers des murs, des choses lointaines, sans rapport avec les préoccupations qui s’agitent devant lui. Sur le haut de ses joues inégalement rasées, de sombres yeux sans reflets maintiennent un raide ascétisme têtu…

On entendit un ronflement métallique, comme si l’horloge se raclait la gorge avant d’émettre de très vieilles heures. Augustin, lassé de manger, lassé de veiller, écoutait avec gratitude la voix basse et claire de sa mère : « Il faut aller te coucher, mon petit. » L’enfant monta, les mains pâteuses de confiture et vertigineux de sommeil. Cependant il ne dormit pas tout de suite. Trop de mirages le dominaient encore. Il sentait le grattant des draps de chanvre. L’extraordinaire odeur de vieux meubles, de pain bis et de grange qui régnait dans la salle à manger pénétrait aussi la chambre et sans doute toute la maison. Par la fenêtre paysanne entrait l’air de mille mètres, glacé par l’altitude et par la nuit. Mais sa respiration s’égalisa bientôt dans le grand froid tranquille, homogène et pur.