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on traverse le couloir pavé de dalles qui s’étend derrière le salon, on se trouve devant une autre porte toute semblable, avec les mêmes ferrures et le même loquet. Elle mène à une cuisine immense, pleine de pénombres rouges et noires, avec des ronds jaunes, palpitants et variables, suivant les endroits où l’on promène la lampe à pétrole. Huit ou dix valets de ferme mangent à une longue table. Leurs dos pèsent sur leurs coudes.

Le Tonton Blaise mange avec des choses qui sont à lui : une fourchette, une cuiller, toujours les mêmes, très grosses, en argent. Il tient à pleine main un couteau de poche large ouvert, pour le cas où il en aurait besoin. On a allumé la grande suspension. Elle donne une noble lumière de bonheur et de cérémonie, sous un abat-jour vert d’eau.

Tante Agathe la regarde parfois anxieusement, comme si elle avait une volonté et qu’il convienne de l’encourager, de temps à autre, à bien brûler.

« La petite s’est rendormie », annonce Maman, qui redescend des chambres. Deux autres personnes reviennent avec elle dans la salle à manger. D’abord une autre tante qu’on nomme Noëlle et qu’Augustin n’a fait qu’entrevoir. Et aussi une petite fille rouge, massive et farouche que cette tante mène par la main. On l’appelle « la Marie de chez nous », pour la distinguer de la Marie de Labro, parce qu’elle est née sur le domaine, comme tout autre petit animal, robuste et innocent. On entend : « Ah ! voici la Marie de chez nous ! Viens dire bonjour aux cousins. Viens les embrasser. »

Mais la Marie de chez nous cache sauvagement sa petite tête dans les jupes de sa protectrice. Un coin de bonnet blanc, un œil bleu, craintif et coléreux : c’est tout ce que les nouveaux cousins en apercevront ce soir.

— Elle a pourtant voulu descendre, regrette Noëlle.

— Donne-lui un morceau de pompe, prononce l’oncle Blaise, et fais-la remonter.

Juste après cet intermède se produisit un incident qui frappa beaucoup Augustin. Grand’mère, restée debout, prit