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Même on a étalé sur la table un drap de lit qui sent le soleil et les prairies, et qui respire à travers la soupe.

À cette table, pour le moment, quelques places vides : d’abord celle de Maman, qui est allée coucher Christine après un rapide repas d’enfant. Puis celle de la très vieille grand’mère, la maman du Tonton Blaise. C’est plus qu’une grand’mère. C’est la grand’mère de Maman. C’est une bisaïeule. Le papa d’Augustin lui a expliqué. La vieille grand’mère n’est presque pour ainsi dire jamais assise. Bien sûr, Tante Agathe, la femme de l’Oncle Blaise, a fait cuire le souper. Mais vous pensez bien qu’il faut néanmoins surveiller à la cuisine. Même les plats qui paraissent cuire tout seuls, comme le jambonneau, le salé aux pommes de terre, qui viendront après la soupe, on dirait qu’ils ont besoin de sentir qu’on a l’œil sur eux. Quant au gigot, le vrai moment de l’arroser n’est pas quand il est roussi, mais un peu avant. Enfin, il faut savoir, n’est-ce pas ? Et il faut s’assurer que Tante Agathe sait.

Ainsi se comportait-on jadis, du temps que la vieille grand’mère était jeune, quand les enfants revenaient pour quelques jours dans les domaines d’autrefois, sur les Planèzes pastorales. On aura bien le temps de faire comme on voudra quand elle n’y sera plus.

L’autre Tante aussi est toujours levée de sa place, celle qu’on appelle Marie de Labro, du nom du domaine où elle est née. À elle sont dues les « pompes à la confiture », énormes tartes campagnardes que l’on cuit au four. Elles sont cuites depuis midi. Elles attendent bien tranquilles. C’est vrai. Mais il faut bien s’assurer qu’elles sont toujours là. On ne sait jamais. Enfin les responsabilités sont si vastes qu’il en reste toujours une partie survivant aux besognes et se dépensant inemployée.

La pièce où ils mangent s’appelle le salon. Elle a de grandes portes doubles avec de belles ferrures et un loquet qu’on soulève pour ouvrir. Augustin sait que les serrures ouvraient ainsi autrefois. Le plancher est fait de larges planches lavées et qui fléchissent lorsqu’on marche. Quand