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centrée. Tout est semblable ; le temps n’a logé entre les choses aucune séparation.

On voit de moins en moins. La nuit enveloppe la voiture, mais Piarrounet et Négro n’ont pas besoin de jour. Tout autour d’eux, à hauteur d’homme et de cheval, il ne reste presque plus de lumière. Augustin constate, en levant la tête, qu’elle n’a cependant pas encore quitté le rond verdâtre du ciel. Des feuillages couleur d’olive noire, usés par places, dégingandés, surplombent les buissons bordiers. Ce sont les frênes des alentours de fermes, régulièrement exploités par les paysans.

Une légère odeur de bestiaux, de foin sec et brises de prairies, demeure en permanence sous ces frênes.

Soudain un triangle rigide, stabilisé et dur, sort des capricieuses masses végétales et de l’inconsistance du crépuscule. Comme un long trait tiré sans règle, l’échine d’un toit apparaît tout entière. C’est la maison.

On perçoit des fanaux et des voix.

Cette nuit est curieuse. Très au-dessus de la maison, ses hauts espaces ne s’occupent pas des hommes et les dédaignent. Mais à ras du sol et des toits, savoureuse et épaisse, traversée de cris et de lumière, baignée dans la joie humaine, on la dirait parente des nuits de Noël.

Ils sont à table, en train de souper. Mais ils ne mangent pas, comme vous le croiriez peut-être, la soupe de tous les jours, une soupe ordinaire, une soupe d’écuelle, aux choux, au saindoux et au pain bis. Non ; c’est un souper de cérémonie, qu’on mange dans des assiettes. La soupe est faite de miche ; elle renferme aussi du lait, du beurre, des pommes de terre et des raves qui vont bien ensemble, et du fromage gras. Les fils du fromage fondu tournent autour des cuillers. C’est comme aux grandes fêtes, aux baptêmes, aux mariages ou aux premières communions.