Page:Malègue - Augustin ou le Maître est là, tome I.djvu/42

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On trouva une fois, lors d’un des plus anciens voyages de vacances, cette sortie des bois tout engluée de solitude, prise dans une brume d’hiver qui gouttait sur les touffes d’herbe. Mais cette plaisanterie fut unique. À tous les autres voyages on revit les beaux soirs classiques : une immense lumière violente et douce où dominait le rose froid.

Elle se haussait jusqu’au zénith depuis les hirsutes premiers buissons. Elle s’étalait en largeur sur cent cinquante degrés de ciel. De grandes barres horizontales, couleur cuivre et braise éteinte, s’immobilisaient sur le tableau du soir, sans autre mouvement que leur transformation interne, dédaigneusement acceptantes, toutes au sentiment de finir. Le papa d’Augustin regardait en une intensité absorbée qui ralentissait son pas et le faisait buter contre les pierres.

Mais rien de semblable pour le petit garçon.

Douze heures de route, d’excitation et de jeu, l’appel incessant de paysages différents, chacun exaltant à sa manière, avait épuisé l’enfant. Il ne sentait plus rien que la fin du voyage, une lassitude heureuse, le désir d’abandonner sa tête sur quelque épaule, la gratitude des jours comblés. Un froid pur traversait son petit veston.

Des mots chuchotèrent dans les antichambres de l’inconscience : « Ne t’endors pas, mon Tintin ; tu aurais froid, mon petit »… Ses épaules et sa poitrine sentirent, à travers le sommeil, des couvertures descendues seules, sans secousse ni poids, comme du duvet.

La voiture est entrée dans un chemin de ferme. Piarrounet tient la bouche du bon cheval Négro. Le véhicule cahote. Il tombe d’un bloc dans de profondes ornières familières, ce qui réveille Augustin. Sa Maman est durement secouée, mais le paquet humain qui dort dans ses bras n’a pas bougé. Des morceaux d’une plus ancienne enfance renaissent des précédents voyages, que l’enfance d’aujourd’hui accueille avec une avidité protectrice et con-