roides, dressées à soixante degrés contre le ciel. On n’apercevait que leur partie supérieure, coupée par le plan des prairies, sans rien discerner des trous où se perdait leur descente.
Entre la route et les forêts, de gaies ondulations, veloutées, savoureuses, plantées comme des parcs, semblaient y conduire d’une continuité étalée qui ne cachait rien. Mais une invisible faille cassait net ce déroulement des prés. L’autre lèvre, la plus éloignée, juxtaposait sans prévenir, dans un total mépris des transitions, un vert dilué et lointain, à la franche couleur immédiate, propice aux gambades.
Et tout d’un coup, Papa dit : « Ah ! voilà les gorges !… » Ou peut-être, il dit : « C’est la grande forêt. » Augustin ne se rappelle plus les termes précis qui annoncent et déclenchent à la fois la venue d’un nouveau monde.
Tel un instrument pénétrant, épieu ou bêche, dont seul le manche blanc émergerait de la terre, la route est entrée tout entière, de biais et d’un seul coup, dans l’opacité des bois. Les pâturages s’arrêtent comme au pied d’un rempart.
Papa explique ce qu’il appelle la topographie du paysage et Augustin comprend fort bien.
Les bois recouvrent les deux versants d’une longue et profonde vallée. Ils se réunissent comme les deux feuillets d’un livre qu’on ouvre, dans l’angle aigu des plans de schistes, par-dessus un thalweg d’eaux grondantes et de roches fracassées, au fond d’inexplorables creux boisés, à l’on ne sait combien de mètres au-dessous des emplacements visibles.
Telle est du moins la manière dont il se dépeindra plus tard à lui-même ce cher paysage de son enfance. Mais pour le moment ce n’est pas tout à fait ainsi que la nouvelle acquisition se présente à travers les mots de son père et les émotions de son cœur.
Bien sûr, tout est changé, à cause des arbres qui sont venus dans cette grande vallée pareille à un livre immense. Tout le monde peut le voir. Mais si vous croyez qu’il est