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cette familiarité qui va si bien aux grandeurs et l’on franchissait le caniveau sur une planche pourrissante, couleur de terre.

— Qu’est-ce qu’un mestreval ? papa, demande Augustin traversé d’un souvenir.

— C’est sans doute un homme qui est à la fois maître et valet, mestre et val, quelqu’un comme le premier domestique ; du moins je le crois.

Et cette notion nuancée par la prudence, par le sentiment d’une définition difficile, vient enrichir le bonheur d’Augustin.

Quelque chose cependant commençait de changer dans l’air du gai hameau. La joie qui ruisselait de son cœur s’affaiblissait vers la périphérie, se refroidissait sur les lisières, s’y laissait pénétrer par certains indices avant-coureurs de la profonde campagne. Égrenés sur le bord de la route, comme des souvenirs que la petite ville distribuait aux partants, ils faisaient pressentir qu’elle allait prendre fin. Un tournant, une placette aux côtés confus, une maison d’aspect austère, pourvue d’une porte au judas grillagé entre d’étroites fenêtres conventuelles, un ponceau final sur un trou d’eau et d’orties, et la route perdait la couleur de boue noire qu’elle avait revêtue pour la traversée de La Borie des Saules. Elle reprenait le bleu froid des terres volcaniques et le coup de vent des espaces libres.

À droite et à gauche, quelques jardins de carottes et de choux tentaient bien de prolonger encore un instant La Borie des Saules. Mais ils réfléchissaient, renonçaient, bornaient leurs désirs. Le dernier de ces jardins, contenant entre ses palissades un carré de linge blanc contre les moineaux, l’agitait en signe d’adieu. Débarrassée des murailles et clôtures, tous ses buts déblayés, la route dirigeait ses courbes vers les grands pans bleus que l’horizon envoyait à la rencontre du ciel. Elle commençait, vers les hautes terres, une montée continue qui durerait douze kilomètres.

Le bon Négro savait toutes ces choses. Depuis le ponceau