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beaucoup plus bas que ne faisaient les chevaux de la diligence. Il était aussi bien moins intimidant. Il semblait doux, plein de familiarité. Ce devait être un plaisir pour lui que de véhiculer de petits enfants. On avait envie de lui parler. De temps en temps il faisait quelques efforts avec sa queue, avec son pied, pour chasser les mouches. Mais sans aucune impatience. Simplement parce que, dans le monde des chevaux, c’est un geste traditionnel, dont il n’y a aucune bonne raison de se dispenser.

— Cette bête a l’air bien tranquille, dit Papa, pour faire plaisir à Piarrounet.

— C’est Négro, le pauvre diable. Il est vieux, dit Piarrounet.

Augustin comprit, à sa stupeur, qu’il existait une sorte de vieillesse inférieure, déconcertante, sans cheveux blancs ni rides, rien qui rappelât la vieillesse des hommes. Elle se marquait par une douceur plus grande, une résistance amoindrie, une tête basse et des poils longs.

Pendant que s’élargissait sa notion de l’âge, le monde extérieur aussi continuait de s’ouvrir. De grêles frappements d’enclume, une odeur de corne brûlée décelaient un maréchal-ferrant, par ailleurs indiscernable. Des oies passaient à la file indienne, portant cou raide et tête sifflante. Des enfants sales entouraient la voiture. Leur groupe s’ouvrit quand Négro s’ébranla.

Tout reprenait l’aspect du voyage : celui d’un frais loisir passionné. Tandis qu’on avait dû contourner les villages, on traversait maintenant de part en part, un hameau sans secret. Tout y était plein de gaieté humaine, déployée exprès devant la voiture de Tonton, posée en éventaire sur chacune des rives du chemin. Le maréchal-ferrant avait la bonté de s’arranger pour ferrer un cheval juste comme on découvrait enfin son invisible atelier. Et l’on éprouvait la satisfaction intellectuelle de constater que l’odeur de corne brûlée, spécialité de La Borie des Saules, venait bien de là. Un boulanger projetait des odeurs d’une bonté simplette, qui ne se haussaient pas jusqu’au gâteau. Au beau milieu