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et son front contre les bras maternels. Il entend par-dessus sa tête : « Allons ! Allons ! gros bêta ! aide-moi donc à tirer les paniers. »

Nulle apparence maintenant que le paysage ait jamais parlé. Tout n’est que rondelles de saucisson, fruits, fromage, comme la fameuse statue n’était qu’odeur de rose. Des carrés d’un papier spécialement friable dégorgent sur les genoux de Maman de bonnes tranches de grillade froide. On verse avec précaution du sel sur des œufs durs. La petite fille veut boire avant de manger. Il faut parlementer longtemps pour l’en dissuader. On transmet à Papa les portions qui lui reviennent, avec un verre de vin qui tremble au bout d’un bras. Des gouttes de vin, des pelures de saucisson et de fromage tombent sur la belle caisse jaune. Augustin se sent fort anxieux de ce qu’au prochain arrêt fera Michelou. Un instinct secret et blasphémateur lui suggère qu’en cas de conflit, son père ne serait pas de force.

Mais Michelou dit seulement : « Ah ! Ah ! vous avez fait boire la petite famille ! » et en même temps que des grimaces et des clignements sur un visage devenu soudain plissoté et resté rubicond lui donnent un air de camaraderie complice, une familiarité et presque une amitié née d’un vice commun.

Hélas ! rien ne dure qui ne change. Peu à peu le beau vase aux parois faites d’air, qui contenait tant de promesses, se vide, s’assèche, on ne sait par quelle fente invisible. Plus rien que de la poussière, d’inertes feuilles vertes, toutes les formes de la lassitude, le feu d’un brutal soleil. Augustin ne se souvient même plus que la terre ait été trempée de fraîcheur et suintante de joie, aux premiers tours de roues. Il n’eût pas voulu revenir à ces moments, pas plus qu’il n’eût souhaité retrouver le départ, les femmes aux paniers et l’allégresse des premiers villages. Tout était rance et long.

Déjà, vers les endroits où se rendait la route, au bout du chemin tordu par tous les caprices des tournants, passant tantôt de çà, tantôt de là, grandissant un peu plus à chaque