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ventre, la double et vaste convexité de ses jambes faisait de son mieux pour regagner, par des moyens bien insuffisants, le temps que lui avaient fait perdre l’importance du chargement, mille circonstances adverses et la volonté des Destins.

Alors le vrai paysage commençait.

C’était une de ces plaines minces et longues, prises entre l’écartement provisoire des éperons boisés. Dans la densité de leur grasse substance d’herbes, se cachent la saveur des terres alluviales et l’imprégnation profonde des eaux. Des odeurs de foin sec et d’étables envahissaient l’air des villages, ceux du moins qui se laissaient traverser. Mais d’autres, plus secrets, tournaient le dos à la route. Derrière le profond écran des buissons percés de trous de poules, on ne voyait que leur envers. On ne savait de leur vie qu’un morceau. Ils ressemblaient au milieu trop court d’une belle histoire, dont on ignorerait toujours le commencement et la fin.

Dans l’intervalle des villages, ce n’était que poussière, soleil et verdures, l’odeur des chevaux, le balancier des nœuds de crins battant les grosses croupes, et la soudaine obscurité de quelque boqueteau que traversait la toute.

Or, toutes ces choses, si différentes, parlaient.

Elles parlaient si bas qu’un certain nombre de kilomètres avait dû passer avant que vous vous en aperceviez. Mais vous compreniez alors que c’était votre faute et qu’elles parlaient déjà depuis longtemps. Bien sûr, elles ne savaient dire aucun mot qui fût clair, prononçant, par exemple, comme eût fait un livre d’images : « ce champ de blé est d’un jaune riche » ou « cette meule de foin est pittoresque ». Qu’importe ? Un grave et sensible petit garçon de sept ans sait se passer de mots pour apercevoir, diffus et en suspens dans la campagne, un mélange de bonheur et de bonté qui n’a besoin pour se poser d’aucun visage d’homme.

Mais, affecté de timidités subites, lorsque Maman regarde son petit enfant pour lire dans ses yeux la transparente joie qu’elle espérait, Augustin cache brusquement sa joue