Page:Malègue - Augustin ou le Maître est là, tome I.djvu/208

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
211
LE GRAND DOMAINE
couleur de fumier, aigus, massifs et délicats, tantôt d’autres choses qui n’avaient rien à voir avec elle, comme le char de regain ou la machine faneuse.

Il se permettait aussi de rares coups d’œil directs, d’une tremblante indifférence, se donnant pour prétexte une attitude d’esprit critique, froide et discriminatrice.

Il se surprit cherchant quelles dissemblances, dans une évidente parenté, séparaient d’une statue célèbre, cette petite tête ronde et pure qui eût si bien pu paraître classiquement belle, et l’ignorait. Ces associations ne l’écrasaient pas et ne l’exprimaient qu’à peine. Elle eût rejeté d’une mésestime étonnée cette similitude cachée dans la profonde inconscience de sa vie physique, et que ses beaux traits avouaient tout seuls. Et il est vrai que bien d’autres choses en elle, et les meilleures parties de son âme, méritaient l’attention des hommes dans leur grâce charmante et tue.

La Marie-de-chez-nous, ayant mis le râteau sur son épaule avec la franchise d’un faneur de métier, marchait derrière le cousin Jules. Le petit génie de la beauté qui la faisait agir sans qu’elle le eût, lui donnait toute la robuste et rustique souplesse destinée à s’accorder à la marche en sabots. Augustin s’arrangeait pour ne pas être exactement auprès d’elle, mais un peu en avant ou un peu en arrière, à cause de sa timidité qui ne cessait pas. Elle eût-tout recouvert, même son obscur bonheur, si ce bonheur n’eût reçu de la Providence le don précieux de traverser d’une chaleur fixe, dorée, inaltérable, tous les sentiments posés par-dessus.

Les paysans ont coutume de rejeter aux murailles des clôtures tous les cailloux dont ils désencombrent leurs prairies, et la pesanteur se charge de les reclasser sur les chemins. Le souci méticuleux et gauche dont Augustin en protégeait ses bottines lui fournit à plusieurs reprises l’attitude cherchée. Les flaques du chemin de ferme lui aidaient beaucoup.

Il avait décidé de lui parler le premier, parce qu’elle ne commençait pas et qu’elle pouvait sans doute aller ainsi, dans ce paysage de chemins creux et de prairies, aussi indé-