Page:Malègue - Augustin ou le Maître est là, tome I.djvu/206

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
209
LE GRAND DOMAINE

— On dirait que quelque chose l’empêche de la vendre.

— Ben !… Il en voudrait plus qu’il n’en trouve pas. Il est comme tout le monde.

— Mais en trouve-t-il ce qu’elle vaut ?

— Pour trouver ce que ça vaut, faut pas dire qu’on veut vendre. Pour pas payer plus que ça vaut, faut pas dire qu’on veut acheter.

— Entre le moins et le trop, il n’y a donc pas d’amateur pour lui donner le juste ?

Le cousin Jules avait une attitude paradoxale. Il semblait remuer précautionneusement de grosses affirmations aux manches proéminents et faire tous ses efforts pour ne pas les prendre. La pipe lui était d’un grand secours. Elle servait de ponctuation. Elle marquait les points de suspension, les virgules, mais ne semblait pas adaptée au point final. Il l’enleva de sa bouche :

— Si ton père ou toi voulez la lui prendre, j’y dirai.

C’était la réplique brutale, l’invitation, aussi claire que possible, de se mêler de ce qui le regardait.

— Non ! nous ne la prendrons pas, dit Augustin d’un air d’excuse enjouée.

— Tu as peut-être raison ; le vieux Thomassin pourrait te faire monter le prix plus haut que tu n’as pas le porte-monnaie.

Le point final ainsi placé, le cousin reprit sa pipe.

Ils arrivaient à la prairie que la faucheuse avait quittée l’avant-veille. On y chargeait le regain sec. Beaucoup de travailleurs étaient des femmes, qui râtelaient autour d’un char.

Un râteau-faneur mécanique allait et venait derrière elles. Seul, le haut mestreval, debout sur le char à peu près terminé, maintenait dans ses bras une motte de foin énorme. Il l’insérait par morceaux dans les parties creuses, tandis que ses jambes se dépêtraient l’une après l’autre du regain foisonnant jusqu’à ses hanches. Quand il se redressa, on vit sa poitrine hâlée sous la toile rude, la ceinture de cuir sur