Page:Malègue - Augustin ou le Maître est là, tome I.djvu/205

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
208
AUGUSTIN OU LE MAITRE EST LA

— Alors, dit le vieil homme, rien d’arrêté ?

Le cousin donna à son indécision un air décidé et final.

— Si je puis acheter d’ici vendredi, je vous le ferai savoir. Si je ne vous fais rien savoir d’ici vendredi midi, c’est que j’ai pas le temps ou que j’ai pas de quoi. Je peux pas mieux vous dire.

— Vous avez bien le temps et le de quoi, marmonnait le
vieux.

Soudain, lyrique, tutoyant, solennel :

— Tu la verras passer sous ton nez, la montagne de Serrehaut. Tu la regretteras ; c’est moi, Sazerat, qui te le dis.

Puis, quittant le pré, il rejoignit sa jument sur le chemin
de ferme. Mais le cousin lui cria dans le dos :

— Vendredi midi, je viendrai, dans tous les cas, voir ce qui s’est passé.

Augustin trouva bien inutile cette sorte de dérangement posthume. C’est plus tard qu’il comprit : le nœud de la chose était là. Le vieux s’en alla de son pas lourd, sans se retourner.

Les deux autres reprirent leur marche molle et spongieuse, sur des parties de prairies d’un vert ras, aux regains déjà moissonnés. Ils pénétraient par des coupures dans des carrés de prés identiques, de l’autre côté des haies.

Çà et là, le sol s’humectait d’eau invisible. Le cousin expliquait :

Toutes ces clôtures, ça tient le terrain frais ; ça donne 
de l’ombre aux bêtes.

Mais Augustin mit brusquement la conversation sur le sujet qui l’intriguait, cherchant à aborder de biais et par artifice les régions interdites. Les réponses venaient, froides, réservées, chargées de sens sous les mots simples.

— Il a l’air de bien vouloir vendre sa montagne.

— Il a besoin d’argent.

— C’est une bonne montagne ?

— Très bonne.