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LE GRAND DOMAINE

Le cousin continuait, hésitant et désabusé :

— Je puis pas bien vous dire. Je sais pas si j’aurai l’argent. Ça doit être vendu vendredi matin, dernier délai ? Je vous enverrai bien une dépêche la veille ou le matin ?

— Ah ! bah ! bah ! bah ! vous savez bien que pour vingt mille de plus vous feriez la bonne affaire.

— Faudrait que je trouve crédit jusqu’en novembre prochain, jusqu’à la vente de mes bêtes.

— Vous en avez pas besoin ! bon Diou de bon Diou !

— Je peux pas vous dire encore. Je peux pas.

La ténacité de cette argumentation frappait Augustin. Le cousin gardait un air bonasse d’indécision dont l’inattendu sautait aux yeux. Le vieux paysan, menant sa jument par la bouche, continuait de bougonner de vagues mots hargneux contre les choses et les destins.

À la prairie aux regains, Augustin fut déçu. Il attendait les gais faucheurs aux bustes blancs, les belles buées d’été bordant des rivières, sur les faux un martellement cristallin de petites grenouilles métalliques, le lancer sifflant des lames courbes et cette espèce de sommeil qui monte des rythmes.

On ne voyait qu’un homme unique, trop haut, tout seul, sur la machine régulière.

Aux points de rebroussement où mordait l’ombre des haies, l’homme arrêtait la faucheuse, la retournait, l’engageait dans le foisonnement des fleurs de prairie, pour un nouveau découpage de la fourrure froide des herbes.

De monosyllabiques onomatopées en une langue inconnue régissaient les deux vaches rousses aux membres fins. Elles ne répondaient qu’après quelques secondes d’inertie et de retard, nécessaires à leurs profondeurs animales pour recevoir la volonté humaine.

Le cousin et l’autre paysan considéraient à quelque distance la faucheuse, les andains de regain, l’homme qui se sentait surveillé. Ils supputaient la différence des coûts avec le salaire des faucheurs. Mais ils pensaient en même temps à l’autre chose.