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LE GRAND DOMAINE

La modicité du chiffre lui parut nécessiter quelque consolation :

— Mais tu as ta retraite. Et tu ne seras pas toujours bien occupé ? Tu pourras gagner quelque petite chose à côté ? J’en ai connu qui donnaient des leçons à des « genses » qui avaient de quoi. Des genses qui leur donnaient encore la pièce par-dessus le marché, après avoir payé.

Ainsi se poursuivait la série des déterminations par lesquelles ce méfiant esprit positif essayait de s’assimiler un état de choses si difficilement intelligible pour lui.

Quand furent bus le café et la liqueur de prunelles faite par la cousine, on sortit sur le devant de porte. Il était deux heures et la pleine chaleur de l’après-midi. La maison, la vaste grange-étable, une autre grange dont le rez-de-chaussée servait de remise et écurie, formaient les trois côtés d’un carré de cour, pavé de cailloux ronds. Le quatrième était une murette au contrebas bordé d’une double rangée de vieux frênes percée par les mille aiguilles du soleil.

Jacqueline jouait sans bruit dans leur ombre fauve qui grimpait lentement contre les façades de l’Est. Un bébé dormait en son berceau paysan, de châtaignier brun, menuisé sur le domaine, avec des arceaux pour les rideaux et des planchettes courbes pour le bercement.

La vieille Marie de Labro désapprouvait, de tout son museau pointu, qu’on fît ainsi dormir en plein air les petits enfants. Des raisons d’hygiène motivaient cette opinion et aussi d’obscures considérations sociales. Le berceau avait bercé le père du bébé, et avant lui son grand-père et il remontait plus haut encore, recouvrant son utilité à chaque génération nouvelle entre de longs paliers d’oubli. Aucun de ses occupants n’avait jusqu’alors dormi en plein air, comme des bohémiens, qu’elle appelait « boumians ».

Le cousin Jules arracha ses hôtes à la contemplation de la cour et à cette muette acrimonie.