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LE GRAND DOMAINE

C’était bien fini pour lui aussi. On ne le verrait jamais plus…

Et maintenant le cousin Jules se trouvait le maître du grand domaine. Augustin se rappelait sur sa silhouette, alors finaude et effacée, la petite barbiche rousse dont il tirait les poils. Il tenait de sa mère, disait-on. Et l’on retrouvait, chez cette silencieuse Marie de Labro, ce nez long, fouineur, un peu déporté sur la gauche, qu’ils étendaient tous les deux, aux visiteurs et aux événements, comme d’autres présentent la main.

Il était très évidemment le maître, au moins autant que le vieil oncle autrefois, avec moins de pesanteur et de volume, une moindre affirmation de toute sa personne. Non qu’il en fût incapable, mais parce que c’était inutile. Il suffisait pour s’en rendre compte de le voir se soumettre le grand mestreval roux, tavelé comme une peau de bête, à la fois rude, sauvage et doux, très haut, debout devant le maître froid. Le cousin commandait sans geste, avec un certain air qui montrait ses dents jaunes, juste au-dessus du petit bouc grisonnant.

Il portait la blouse des gâs de ferme, mais plus soignée, bleu foncé, presque noire, embellie de piqûres décoratives autour des grandes poches à portefeuille. Au-dessous d’elle, le cousin mettait les jours de semaine une veste de chasse, marque de son rang social, traditionnelle sur les domaines. Laineuse, lourde et sentant le suint, des boutons la décoraient, à motifs cynégétiques, hures de sangliers dans un enroulement de cors. Le dimanche, il revêtait un habit de tissu noir.

À côté de lui, servile, inquiète, toujours affairée, se tenait la femme du cousin Jules, cette grosse et insignifiante Noëlle, bonne beurrière, parfaite à la basse-cour, et qu’on savait riche.

Quelque chose avait décidément changé, qu’on ne devait plus voir souvent ni dans ce domaine, ni dans d’autres tout semblables où se morcelait l’unité géologique des grands plateaux volcaniques. Jadis, c’étaient des baisers voraces sur