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toutes les formes de ses bonheurs précédents, le capturant, le ravissant pour de bien autres aurores.

Des deux jeunes filles debout sur le palier, la plus grande est celle qu’Augustin connaît déjà, qui lui a parlé à l’église. Et, à la réflexion, ce fait paraît à l’enfant profondément juste et raisonnable. Il ne peut en être autrement. C’est le déterminisme des féeries. Chaque événement de ces invraisemblables heures participera de leur même couleur dorée. C’est d’elle aussi qu’émane ce rire merveilleux, encore visible sur ce visage lisse, moqueur et éblouissant, auprès duquel il est tout à fait impossible d’en regarder d’autres. Augustin est inondé d’une béatitude si dominatrice et si tendre qu’il sent immédiatement grandir entre la jeune fille et lui, organe de protection, une timidité forcenée à laquelle rien ne l’arrachera.

L’enjouement cérémonieux de son père, la musique de ses paroles à elle, tout cela traverse douloureusement le silence où le petit garçon s’enferme. Son cœur reste baigné dans une douceur folle, farouche et pleine de honte qui va rester un de ses grands secrets.

Et elle s’en va. Par le même escalier qu’ils viennent de monter, elle descend avec sa compagne, pendant qu’ils entrent tous les deux. Occupé aux conversations liminaires avec la femme de chambre, son père remarque à peine qu’il se retourne impulsivement pour revoir celle qui s’en va, maintenant qu’est disparue l’oppression de la présence et qu’un terrible regret la remplace : une main gantée de blanc lui fait signe pour sa confusion et pour sa joie.

Le reste est noyé sous des épaisseurs de passé. Peut-être même cet étrange trouble ne surnage-t-il que parce qu’Augustin est revenu bien des fois, en les alourdissant, sur les traits primitifs.

Il se souvient de parquets d’un noir brun, compliqués et symétriques. Des meubles graves présentent une immobilité si noble que serait blasphématoire l’idée de les faire servir, d’y placer par exemple du linge ou du pain, de tirer sur les cuivres des poignées. Le bruit de leurs deux pas mêlés