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- Nulle vie de saints qui n’en déborde. On y touche l’absolu dans l’expérimental. Je pense à une hagiologie.

Et il citait la Vie de sainte Thérèse, par les Carmélites du diocèse de Paris, deux volumes, quatre cents pages environ chacun. Épuisée pour le moment.

Sans qu’ils eussent besoin de changer de direction, les gros yeux bleus de Bruhl se déprenaient de tout point immédiat, s’accommodaient pour l’infini. Tous ses traits viraient au rêve. Il partait pour ces longs voyages idéalistes, dont les gens des grandes affaires, à la seconde ou troisième génération, sentent parfois le vague et puissant attrait.

C’étaient de beaux jours ardents, chargés et pesants d’avenir. Augustin commençait des joies profondes et de formation lente qu’il n’avait jamais éprouvées encore. Tout s’y fondait : les discussions entre intelligences de son modèle, la même candeur posée sur diverses doctrines, le même café au lait, amer et lourd de pain ; au dortoir les mêmes lits minces, les étroites cuvettes où basculait parfois le traversin. Ne connaître que des buts généraux et désintéressés, savoir qu’il en existe d’autres, ignorer comment ils sont faits, participer au même travail et à la même jeunesse, sentir pousser chaque jour de quelques nouveaux centimètres les fortes racines de l’amitié… douces choses, qu’on voit mieux plus tard, d’un peu plus avant sur la route, et comme dans les tableaux de Carrière, à travers ces buées qui s’évaporent de la vie.

La leur prenait l’aspect d’un paysage uniforme et sans ombre, enivrant d’immensité, sans autre incident que son infinitude même et la joie des grands galops libres. Augustin ne se sentit jamais plus heureux. Une certaine assurance en ses forces et dans les intentions du Destin, un mélange de foi, de piété, de raison, un bonheur terrestre ennobli de participations éternelles, toutes les incertitudes ayant le visage de l’espérance : c’étaient de beaux jours.

Il n’y manqua même pas cette espèce de fierté que donne la vue d’un grand homme.