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fumée de bougies pauvres, cette humble odeur de vieilles gens et de fond de bénitier, qui peuple les églises populaires, remuaient obscurément son cœur. Une certaine émotion gênée sortait de son grand corps et de son manque d’habitude.

— Quelle magnifique poésie ! disait-il. Tous les soucie matériels, la santé, le pain quotidien, et aussi le besoin d’art et de joie, toutes les solides nécessités humaines restent reconnaissables sous cette fleur divine, la font tenir debout, lui donnent consistance et rigidité. Quelle profondeur !

Mais Augustin expliquait que ce n’était pas là le cœur de la vie religieuse. Sa pensée voyait clair et tranchait :

— Si tu veux, deux vers expriment les différences. De ton côté : « J’aime la majesté des souffrances humaines. » Mais de l’autre : « Qu’est-ce que tout cela qui n’est pas éternel ? »

— Peut-être, faisait Bruhl, rêveur.

Ils se disaient adieu sur le boulevard Saint-Michel. À travers une bruine couleur acajou et criblée de lumières, Bruhl sautait dans l’un des tramways qui filent vers le Trocadéro. Augustin voyait s’enfuir sur l’impériale, parmi les occupants des places à trois sous, le col relevé et l’air frileux, le fils de la grande banque hollandaise Bruhl frères et Arfvidson.

Très loin encore du vrai concours, pleins du double et profond charme du travail et de l’amitié, toutes questions politiques et religieuses s’offraient ainsi à leur jeunesse. Le modernisme et les socialistes fabiens, l’évangélisme tolstoïen et la critique de Poincaré, la sociologie de Tarde ou de Sorel et l’individualisation des peines, tout se fondait dans la même carence de données de fait et la même précision abstraite.

Les sujets perdaient en leurs discussions le relief et le poids des choses véritables, autour desquelles se concentrent les faims d’argent et de bien-être et tous les durs