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je ne tirerais certainement pas du donné tous ses renseignements techniques ; mon risque serait fou.

Bruhl (une manie qu’il avait) saisit par un bouton le veston d’Augustin et se mit à tirer dessus, comme s’il l’entraînait par le truchement de ce bouton.

— Il y a vingt siècles, le risque que courait Jésus transcendait sagesse et folie !… Ça ne t’ennuie pas que je te parle de Jésus en termes laïques ? demanda-t-il soudain d’un ton de respect profond, incertain des libertés qu’il pouvait prendre, en quoi il rappelait M. Rubensohn.

— Pas du tout. Mais ne confonds pas et laisse mon bouton. Les techniques économiques ne sont pas objets de révélation. Jésus n’y est pas un exemple.

— Signé : Augustin Méridier, membre de l’institut, murmura Zeller du bout des lèvres, tout en frottant son bras contusionné et sali.

On stigmatisait parfois, de cette plaisanterie, le manque de souplesse d’Augustin, sa sécheresse péremptoire et la sûreté de ses succès scolaires.

— C’est curieux, remarquait Bruhl, je vous imaginais plus mystiques que discursifs, plus fins que géomètres, plus perméables aux raisons du cœur… Oh ! qu’ils sont embêtants !

— On vous l’enverra dans l’autre cour, cria Largilier, visé et atteint, cette fois. Convertissez-vous l’un l’autre, chacun conquérant son ami, continua-t-il en ce curieux dialogue pendulaire.

Mais le genre de reproches que lui adressait Bruhl ne pouvait déplaire à Augustin. Il y discernait une garantie d’efficacité pour sa future apologétique. Et aussi un coup de sonde assez profond dans ce qui était sa véritable nature, à lui : un certain goût du positif, une certaine parenté avec les gens des Planèzes. Un intellectuel n’échappe pas plus qu’un autre à sa race, mais il l’explore mieux.

— Sais-tu que tu cites du Leibniz ? fit-il à Largilier.

Comme il donnait la référence, le ballon le heurta en plein dos.