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les rayonnages, dissimulé dans l’ombre, un Christ brun se cachait, s’effaçant devant toute cette sagesse humaine, comme s’il craignait d’abuser.

Ce fut là qu’Augustin vit Bernier Félix.

— Pour les jeunes de maintenant, disait l’abbé, c’est un prêtre de formation sociale, qu’il faudrait.

Un pauvre vieil homme comme lui n’était pas à sa place ici ; qu’on le mette dans quelque bibliothèque de grand Séminaire, dans quelque couvent de Religieuses Adoratrices.

— D’utilité, continuait-il, je n’en ai guère d’autre que l’humiliation de me trouver chaque matin en face de mon inutilité.

Il leur parlait avec une douceur confuse et riante, comme si c’était lui qui cherchait auprès d’eux des encouragements.

Augustin ne se rappela bientôt plus au bout de combien de minutes la conversation dériva sur le sujet capital. À vrai dire, elle y tendait avant même qu’il eût monté les quatre étages, et c’était quand elle n’en parlait pas encore, qu’elle dérivait. « Il doit être renseigné », pensait-il, tandis qu’il s’entendait lui-même protester contre l’idée d’utilité supérieure qu’aurait un aumônier social. Il insistait, au contraire, sur l’urgence essentielle de l’apologétique biblique.

— J’ai, dit l’abbé, quarante ans d’exégèse. Avec ou sans elle, l’essentiel me semble toujours être un acte d’amour de Dieu.

Augustin fut déçu. Ce n’était pas tout à fait cela dont il s’agissait. Le respect qu’il ressentait pour l’aumônier fit qu’il n’osa pas le dire. Bernier Félix avait prêté à la conversation un intérêt docile, ne dépassant point celui qu’il eût montré pour tout sujet scolaire.

Augustin ne se trompait pas en croyant l’abbé « renseigné ». Il l’apprit par des camarades de seconde année. Moins vieux en réalité que ne le faisait croire son extrême maigreur, il n’atteignait pas soixante ans. On le savait fort